Les chefs d’État des pays membres de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) ont décidé, à l’issue de leur sommet tenu à Abuja (capitale du Nigeria), de créer un tribunal spécial pour juger Yaya Jammeh, le dictateur qui a dirigé la Gambie pendant 23 ans (1994-2017).
Le long règne de Jammeh a imposé un régime de terreur qui s’est soldé par des centaines d’assassinats, de condamnations arbitraires et de violations des droits de l’homme sous des formes diverses, aussi criminelles les unes que les autres.
Des charniers ont été découverts, et des aveux ont été enregistrés de la part de membres repentis des « junglers », hommes de main du dictateur, qui ont admis des meurtres et des tortures publiquement, devant la Commission Vérité et Réconciliation, mise sur pied par Adama Barrow, successeur de Jammeh.
Ces révélations choquantes ont soulevé l’ire des populations, qui ont manifesté dans les rues.
Mais, depuis le départ en exil de Jammeh en Guinée équatoriale en 2017, et malgré l’ampleur des crimes perpétrés, la CEDEAO n’avait pas encore montré une quelconque volonté sérieuse de traduire Jammeh en justice. Son départ en exil avait été négocié, et une remise en cause de l’accord serait, potentiellement, source de troubles en Gambie, où Jammeh compte encore de nombreux partisans.
Il y a aussi l’engagement de Malabo d’assurer la sécurité de Jammeh et sa volonté de le respecter.
Comment convaincre le régime du président Obiang de renier sa parole et de livrer son hôte encombrant à la CEDEAO ?
À l’évidence, l’entreprise sera difficile à réaliser, et c’est plutôt l’option d’un jugement par contumace qui semble la plus probable, dans un horizon proche.
Toutefois, le choix de la CEDEAO est justifié, tout en participant d’une action de « réhabilitation » morale et politique de l’organisation, qui s’était discréditée dans ses tergiversations face aux putschs survenus au Mali, au Burkina Faso, en Guinée Conakry et au Niger.
Cela avait abouti à la décision de Bamako, Ouagadougou et Niamey de quitter la CEDEAO.
Un choix de rupture confirmé à Abuja et acté par la CEDEAO, qui permet cependant aux initiatives de réconciliation engagées par le Sénégal et le Togo de se poursuivre encore d’ici six mois.
Le problème est de savoir si le cas Jammeh va impacter négativement ou non cette ultime médiation sénégalo-togolaise.
Les putschistes pourraient être, demain, à la place de Jammeh, pour avoir d’ores et déjà été impliqués dans de nombreuses violations des droits humains dans leur pays.
La CEDEAO ouvre un chantier complexe mais nécessaire pour restaurer la confiance des populations éprises de paix, de justice et qui exigent que les dictateurs soient jugés et châtiés.
Pour que démocratie et État de droit s’enracinent dans l’espace CEDEAO.
Non pas pour plaire à la communauté internationale, mais pour rendre justice aux parents des victimes humiliées, torturées et assassinées.
Ces crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et méritent que tous les efforts soient déployés pour traduire les bourreaux en justice.
La CEDEAO a posé un acte à saluer, qui honore les chefs d’État engagés à refuser de céder à la « facilité de la Realpolitik », qui rime ici avec compromission.
Yaya Jammeh ne peut pas bénéficier d’un déni de justice, alors que les parents des victimes sont condamnés, à vie, à souffrir de la perte d’êtres chers.
Le cas Jammeh mérite d’être pris au sérieux.
Mieux vaut tard que jamais.