Le président sénégalais, Macky Sall vient de publier un livre sous le titre évocateur de “Le Sénégal au Cœur“. Un livre autobiographique qui révèle des facettes importantes sur la personnalité de l’auteur. Homme discret, affable, à la fois souple et ferme, Macky Sall est un personnage énigmatique, disent ses concitoyens qui n’arrivent pas à le cerner, comme ce fut le cas avec son prédécesseur, Me Abdoulaye Wade nettement plus bavard. Toute la différence entre un avocat et un ingénieur. “Le Sénégal au Cœur” nous replonge délicatement, dans l’intimité professionnelle et familiale d’un grand homme d’État, qui ne cesse de surprendre son monde.
« Issu d’une famille originaire du Fouta, un terroir situé au nord du Sénégal, je suis né le 11 décembre 1961 à Fatick, dans le Sine, au cœur du pays sérère. Mes parents s’y étaient établis après avoir quitté leur terre originelle. Modeste, ma famille était vigoureusement dévouée aux valeurs chères à notre lignée : culte de l’effort, de la droiture, du courage et de la retenue. Mon père était un «Hal pular», un Toucouleur, disent certains. Héritier de la lignée des braves résistants que furent les Sebbés Kolyaabés, dont je parle plus loin, il était un homme grand, affectueux, courageux et fier. « On peut perdre une bataille, mais il faut toujours garder l’arme au poing pour gagner la suivante », aimait-il à me répéter (…) Ma mère était également originaire du Fouta. Elle était la cousine de mon père : mariage endogamique. J’ai une sœur aînée, Rokia, et trois frères, Aliou, Mamadou Hady et Abdoul Aziz…», raconte Macky Sall, en évoquant avec un brin de fierté, ses origines qu’il qualifie de modestes.
Pourtant les “Sebbe Kuliabbe”, étaient de braves guerriers connus pour leur courage légendaire. Mais, Macky Sall évite de retomber dans des perceptions féodales qui ont fini de stratifier la société sénégalaise. Stratifications qui résistent plus que jamais aux assauts répétés de la modernité.
Certains diront qu’une telle perception reste le péché mignon de la société sénégalaise moderne. La preuve : au plus fort du combat politique contre son mentor et prédécesseur, Me Abdoulaye Wade, ce dernier, acculé et affaibli ne trouva pas mieux que de recourir à l’usage de cette arme non conventionnelle pour atteindre, ne serait-ce que psychologiquement son jeune adversaire : « Macky Sall est un descendant d’esclaves. […] Ses parents étaient anthropophages. […] Ils mangeaient des bébés et on les a chassés du village. […] Jamais mon fils Karim n’acceptera que Macky Sall soit au-dessus de lui. Dans d’autres situations, je l’aurais vendu en tant qu’esclave ! », avait lancé publiquement et impudiquement, l’ancien président de la République, dans une déclaration publique, relayée par les médias nationaux et internationaux.
En dépit de ses pouvoirs que lui conférait la constitution en sa qualité de président de la République, Macky Sall a, plutôt opposé une sorte d’indifférence, pour ne pas dire de mépris, parce qu’il savait que “La politique politicienne est ce qu’elle est et se prête à tous les coups bas, hélas. Lorsqu’en 2015, la Justice a traduit Karim Wade devant un tribunal, son père – mon prédécesseur – a perdu toute mesure“.
En démocrate doublé d’un républicain, Macky Sall se contente de l’arbitrage bénévole d’un quotidien français : “Le quotidien français «Le Monde Afrique» du 20 mars 2015 avait suivi cette affaire et mené son enquête pour conclure que Wade avait émis de graves et fausses accusations“. Son attachement aux valeurs ancestrales et à l’éthique républicaine l’ont empêché de céder à la provocation d’un vieil adversaire impuissant, obligé de recourir à l’arme des faibles : la médisance et la diffamation.
La condamnation de Karim Wade, fils de l’ancien président est venue comme une sorte de revanche de l’histoire. En novembre 2007, l’assemblée nationale, alors présidée par Macky Sall, convoqua Karim Wade pour l’auditionner sur sa gestion de l’ANOCI (Agence nationale pour l’organisation du sommet de la Conférence islamique), son père Me Abdoulaye Wade, qui présidait aux destinées du pays, prît l’affaire comme un affront et s’interposa non pas seulement pour faire avorter le projet d’audition, mais pour punir le président “effronté” du perchoir !
Ce fut le début d’un Thriller d’un suspense époustouflant, où le maître (Wade) et son disciple (Macky Sall) ont joué les principaux rôles, à l’avantage évident, du disciple Macky Sall qui finit par chasser son ancien mentor du pouvoir, après un deuxième tour à la présidentielle de 2012, qui verra Macky Sall l’emporter sur Abdoulaye Wade avec un score fleuve de 65% des voix.
Les rôles sont désormais inversés. Karim Wade, jadis protégé par son père de président, est traduit devant la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite(CREI). Il est condamné, suite à long procès qui aura duré plusieurs mois. Impuissant devant la force du droit, son père fait feu de tout bois. Pourtant, depuis 2016, Macky Sall lui a accordé une grâce présidentielle, qui lui a permis de s’exiler volontairement au Qatar.
Le chemin qui mène à la magistrature suprême était parsemé d’embûche pour l’enfant de Fatick :
“ Le 19 juillet 2007, je me rends à une réunion de la direction du PDS au Palais présidentiel. Je viens de démissionner, comme prévu, de mon poste de Premier ministre, mais je suis toujours le numéro deux du parti. À l’entrée, le gendarme demande à me contrôler, je le laisse faire son travail. Mais voilà, c’est long, inutilement long, et insistant. Ma patience légendaire est mise à mal, puis s’émousse lorsque le gendarme me lance : « Monsieur, vous devez vous soumettre à la fouille corporelle !»
– Pardon ?
-Désolé, nous avons reçu des ordres.
Je fais aussitôt demi-tour. À peine arrivé chez moi, le téléphone sonne,
-C’est le Président Wade. Je viens d’être informé de l’incident avec la sécurité, c’est réglé, tu peux revenir, nous t’attendons.
– Désolé, Monsieur le Président, je ne reviens pas. Ce qui s’est passé est scandaleux.
“On me rapporte que Wade aurait alors dit : «Macky Sall ne devrait pas bouder pour si peu ! Son comportement est une erreur“, raconte Macky Sall dans “Le Sénégal au Cœur“.
Ce n’était pas fini, il y a eu l’audience décisive avec le président Wade : Le Président Wade change de tactique, il finit par me convoquer pour un entretien. Je me rends donc au Palais, je n’ai aucune raison de refuser cette entrevue. Je suis président de l’Assemblée nationale, il est président de la République. Après quelques courtoisies de façade, le dialogue va vite tourner court :
-Comment ça va à l’Assemblée ?
– Ça va, monsieur le Président.
-Arrête de me raconter des histoires, cela ne va pas du tout là-bas. L’Assemblée est bloquée, rien ne marche et tu t’obstines à vouloir rester !
Un silence s’installe, le Président Wade reprend, son ton de voix est ferme, cassant :
-Allez, cette affaire a assez duré, cela suffit, tu démissionnes.
Je laisse passer encore un silence, puis je réponds – ma voix contraste avec la sienne, je reste calme et mesuré, je soutiens son regard :
-Désolé, monsieur le Président, je confirme qu’il n’y a aucun problème à l’Assemblée et qu’il n’y a rien qui puisse être assimilé à un blocage. Je n’ai aucune raison de démissionner et je ne le ferai pas ! Vous avez manifestement des raisons de vouloir mon départ, c’est donc à vous de me faire partir. Mais je ne vous offrirai pas ma démission !
Il ne s’attendait pas à une telle réaction, il est surpris, mais verse vite dans la menace :
-Tu cherches des histoires ? Tu seras servi !
Puis il se lève, l’entretien est terminé. Il n’y a pas de poignée de main, il ne me raccompagne pas. Je me dirige vers la sortie et je l’entends me dire, dans un murmure :
– Tu l’auras voulu !
La porte de son bureau claque derrière moi. Je sens qu’il était furieux. Je sais combien mon adversaire est redoutable. Depuis son entrée dans l’arène politique en 1974, chaque fois qu’il a voulu abattre quelqu’un, il a réussi, et nul ne s’est relevé. J’entends bien être l’exception qui confirme la règle !
Le 9 novembre 2008, la Chambre vote ma destitution par 111 voix contre 22. Le Sénat ratifie la loi, manquant l’unanimité d’une voix, celle du sénateur de Fatick, Woula Ndiaye, l’ancien président de la Commission de l’économie générale, qui refuse de se plier aux ordres du Président Wade. Mamadou Seck devient président de l’Assemblée nationale. Une partie de ma vie est par terre“, avait pensé Macky Sall.
La suite, on le sait. Macky Sall, suivi de quelques-uns de ses inconditionnels, démissionne de toutes les fonctions électives et nominatives, acquises sous la bannière du PDS et crée l’Alliance Pour la République (APR) grâce auquel, il prend brillamment le pouvoir en 2012.
Ce livre s’annonce comme un best-seller de sciences politiques. Il retrace, le cheminement d’un descendant des “Sebbe Kuliabbe”, devenu ingénieur géologue, puis président de la République, par la volonté de la majorité des Sénégalais, mais aussi grâce à ses qualités de stratège, qui a su écouter et suivre l’intuition toute féminine de sa conjointe qui l’aura accompagné dans tous ses combats.