La Cour suprême mauritanienne a ordonné la libération immédiate des militants anti-esclavagistes Biram Dah Abeid et Brahim Ould Bilal Ramdane qui avaient été condamnés à deux ans de prison ferme en 2014. Cette décision judiciaire tardive remet sur le devant de la scène la question de l’esclavage en Mauritanie .
Une réalité malgré les abolitions de 1905 et 1981
Les abolitions successives n’ont pas éradiqué le phénomène dans une société mauritanienne d’une rare complexité.
En 2015, cent cinquante mille esclaves étaient recensés dans tout le pays, soit 4 % de la population totale.
Cette réalité choquante est la preuve irréfutable que les différentes proclamations bruyantes d’abolition de 1905 par les autorités coloniales françaises jusqu’à celle officielle décidée par l’Etat mauritanien en 1981 n’ont pas été suivies d’effet.
Du reste les autorités en ont conscience parce que le Parlement a voté une nouvelle loi le 13 août 2015 pour « considérer l’esclavage comme un crime contre l’humanité ».
Le problème reste entier car il s’agit d’une réalité sociale profondément ancrée dans la pratique des diverses ethnies et communautés qui cohabitent en Mauritanie, pays issu, comme beaucoup d’autres sur le continent, d’un découpage colonial totalement artificiel.
Le seul tracé arbitraire des frontières n’est certes pas à mettre en cause. Il y a aussi et surtout l’histoire des conflits multiséculaires entre tribus maures et populations négro-africaines.
Les Haratines ou Maures noirs sont issus de ce passé et en assument les cicatrices. Ils se sont insurgés récemment contre les déclarations outrancières du président Mohamed Ould Abdel Aziz qui a jugé qu’ils ont « beaucoup d’enfants ». Le président mauritanien, peut-être inconsciemment, se désolait de la logique démographique implacable qui va submerger sa propre communauté déjà minoritaire, les Beidanes ou Maures blancs.
Maures Noirs et Maures blancs
Le débat sur l’esclavage en cache un autre sur la démocratisation de la Mauritanie et l’inéluctable avènement de la majorité haratine.
Et ce ne sont pas seulement les Maures blancs qui se rebiffent face à ce glissement historique. Les ethnies négro-africaines peule, wolof et soninkée qui ont pratiqué elles aussi l’esclavage dans le passé continuent de préserver le système des castes discriminatoire.
Ainsi les Haratines se sentent-ils rejetés tant par les Maures que par les autres communautés mauritaniennes.
L’édifice mauritanien est donc très fragile. La multiplication des coups d’Etat depuis l’indépendance du pays en 1960 le confirme.
Toutefois, la mainmise des Maures blancs minoritaires sur le pouvoir demeure et pose problème dans une démocratie.
L’abolition réelle et définitive de cette pratique déshumanisante qu’est l’esclavage n’aura lieu qu’avec l’avènement d’un pouvoir politique démocratique.
En Mauritanie, ce n’est pas demain la veille.