Pour la première fois depuis près de six décennies, les habitants du Grand Mogadiscio ont été appelés aux urnes, jeudi, à l’occasion d’élections locales organisées au suffrage universel direct. Un scrutin historique pour la capitale somalienne, marqué à la fois par un fort symbole démocratique et par un dispositif sécuritaire exceptionnel, dans un pays toujours confronté à une instabilité chronique.

Dès les premières heures de la matinée, de longues files d’électeurs se sont formées devant plusieurs bureaux de vote de la capitale. Beaucoup votaient pour la toute première fois de leur vie, exprimant un mélange d’enthousiasme et d’émotion face à cet exercice citoyen inédit. Si l’affluence a diminué au fil de la journée, l’événement n’en demeure pas moins perçu comme un tournant majeur dans l’histoire politique récente du pays.

Afin de prévenir toute tentative de déstabilisation, plus de 10.000 membres des forces de sécurité ont été déployés à travers Mogadiscio. Les autorités ont assuré que toutes les mesures nécessaires avaient été prises pour garantir la sécurité des électeurs et du processus électoral, dans un contexte où la menace des insurgés islamistes shebab, affiliés à Al-Qaïda, reste bien réelle. Bien que les combats se poursuivent dans certaines régions situées à une soixantaine de kilomètres de la capitale, la situation sécuritaire à Mogadiscio s’est sensiblement améliorée ces dernières années.

Le scrutin est largement considéré comme un test politique majeur à un an de l’élection présidentielle prévue en 2026, à l’issue du mandat du président Hassan Sheikh Mohamud. Ce dernier, après avoir voté dans la capitale, a salué une étape décisive sur « le chemin de la démocratie », appelant les citoyens à s’approprier ce processus comme un investissement dans l’avenir du pays.

Toutefois, cette avancée démocratique reste contestée. Les principaux partis d’opposition ont boycotté le scrutin, estimant qu’il manquait de garanties d’inclusivité et de consensus politique. La Coalition pour l’avenir de la Somalie a notamment remis en cause la légitimité du processus, y voyant une manœuvre destinée à consolider le pouvoir en place et à préparer une éventuelle prolongation de mandat du président sortant. Plusieurs citoyens, sceptiques, ont également choisi de ne pas se rendre aux urnes, dénonçant un processus qu’ils jugent insuffisamment représentatif.

Selon la commission électorale, près de 400.000 électeurs étaient inscrits sur les listes dans le Grand Mogadiscio, une région qui compte plus de deux millions d’habitants. Ils devaient départager environ 1.600 candidats pour l’attribution de 390 sièges au sein des conseils locaux.

Le vote direct avait été abandonné en Somalie à la suite de l’arrivée au pouvoir du régime militaire de Siad Barre en 1969. Depuis la chute de ce dernier, en 1991, le système politique somalien repose essentiellement sur des mécanismes indirects fondés sur les équilibres entre clans et sous-clans. Le suffrage universel n’est aujourd’hui pleinement en vigueur que dans le Somaliland, région séparatiste autoproclamée indépendante mais non reconnue internationalement.

Le retour au suffrage direct, approuvé par le gouvernement fédéral en août 2024, demeure source de vives tensions politiques. À l’approche de 2026, aucun accord clair n’a encore émergé sur l’organisation des prochaines élections législatives et présidentielle. L’opposition n’exclut pas de lancer un processus parallèle si le pouvoir persiste dans cette voie, faisant planer le risque d’une nouvelle crise politique dans un pays encore fragile.