Le retrait fracassant du Fonds Monétaire International (FMI) du Sénégal la semaine dernière n’est pas qu’une péripétie administrative ; c’est une déflagration, le symptôme d’une pathologie financière profonde et systémique. Ce départ, loin d’être une surprise pour les observateurs avertis, met cruellement à nu des déséquilibres économiques que les nouvelles autorités peinent à maîtriser et qu’elles contribuent, par leurs choix hésitants, à aggraver. Le Sénégal, désormais sans la béquille du FMI, fait face à une urgence sans précédent : celle d’une restructuration de sa dette pour éviter le défaut de paiement. La gravité de la situation est accentuée par la perception d’une équipe économique au pouvoir manquant de l’expérience et de la clairvoyance nécessaires pour naviguer dans cette tempête.

Le Diagnostic Implacable : Faute de Leadership et d’Anticipation

Le tableau financier est sombre. Le coup de massue du FMI, avec la suspension de son programme d’aide de 1,8 milliard de dollars, a provoqué une chute vertigineuse des titres de dette sénégalais. L’obligation 2028 s’échange désormais à 80 centimes pour 1 euro, celle de 2033 à 67,46 centimes pour 1 dollar. C’est la marque infamante d’une perte de confiance irréversible de la part des marchés internationaux. Cette dégringolade n’est pas fortuite ; elle est le résultat direct d’une absence d’anticipation et d’une série d’erreurs stratégiques, au premier rang desquelles figure l’incapacité à engager une restructuration de la dette bien en amont, lorsque les marges de manœuvre existaient encore.

La performance budgétaire, bien que « correctement alignée » avec le budget révisé 2025, est un leurre. Le déficit global reste abyssal (7,8% du PIB), et l’objectif de le ramener à 5,4% en 2026 relève de la pure fantaisie, reposant sur des hypothèses fiscales que même les experts du FMI jugeaient « très optimistes ». C’est une illustration parfaite d’une équipe aux commandes incapable de mesurer la réalité économique, préférant des chiffres cosmétiques à une action résolue.

L’Équipe aux Commandes : Des Amateurs dans la Tempête ?

C’est ici que le bât blesse le plus. Face à une crise d’une telle magnitude, l’expertise et la vision stratégique sont primordiales. Or, la perception largement partagée, y compris par les milieux financiers internationaux, est celle d’une équipe économique sénégalaise actuelle, manquant cruellement d’expérience et de profondeur technique. Leur navigation par « gros temps » semble se limiter à des réactions épidermiques et à des communications déconnectées des réalités du marché.

L’absence d’une feuille de route claire et cohérente post-FMI, la difficulté à articuler des réformes crédibles et l’incapacité à rassurer les investisseurs témoignent d’une faiblesse alarmante. C’est une équipe qui semble découvrir l’ampleur du désastre plutôt que d’en anticiper les conséquences. Comment espérer une restructuration complexe de la dette, nécessitant des négociations ardues avec une multitude de créanciers sophistiqués, lorsque l’on ne maîtrise pas les arcanes de la finance internationale ? Cette carence en leadership et en expertise technique est sans doute le plus grand handicap du Sénégal dans cette période critique.

Restructuration de la Dette : L’Impératif Catégorique

Churchill aurait pu dire aux autorités sénégalaises : Vous pensez éviter la restructuration et préserver l’honneur financier du pays. Mais en refusant d’affronter la réalité, aujourd’hui, vous perdrez l’honneur et connaîtrez le défaut.

La seule voie de salut immédiate pour le Sénégal est une restructuration urgente et bien orchestrée de sa dette souveraine. Il s’agit d’un processus délicat, certes, mais infiniment préférable à un défaut pur et simple.

Restructuration Négociée vs. Défaut Organisé : Il est crucial de faire la distinction.

Une restructuration est une négociation visant à modifier les termes de la dette (allongement des échéances, baisse des taux, remise partielle) pour restaurer la viabilité financière. Elle préserve, dans une certaine mesure, la crédibilité et l’accès aux marchés. Un défaut organisé, en revanche, est un non-paiement, entraînant une perte de confiance massive, l’exclusion des marchés et des conséquences socio-économiques dévastatrices (contraction économique, inflation, chômage).

Le Sénégal doit impérativement opter pour la restructuration négociée. C’est la seule option permettant de maintenir un fil ténu avec la finance internationale, d’éviter l’isolement total et de minimiser les chocs sociaux.

Solutions Techniques Incontournables :

Assainissement Budgétaire Drastique : La première étape consiste à un audit rigoureux des finances publiques. Suppression des exonérations fiscales inefficaces, élargissement de l’assiette fiscale par la numérisation et l’intégration du secteur informel, et une lutte acharnée contre la fraude et l’évasion fiscale sont des mesures non négociables.

Transparence Absolue : La publication exhaustive des passifs budgétaires, y compris ceux des entreprises publiques et des arriérés, est indispensable pour regagner la confiance des créanciers.

Diversification des Sources de Financement : Recourir davantage aux Sukuk (finance islamique) pour attirer des investisseurs du Moyen-Orient moins sensibles aux notations occidentales. Explorer la création d’une Banque Nationale d’Investissement pour financer les PME et projets stratégiques avec des ressources internes (fonds souverain, recettes fiscales).

Alliances Stratégiques : Négocier des accords bilatéraux « gagnant-gagnant » avec des partenaires africains (ZLECAF) et des puissances émergentes (Turquie, Chine, Maroc) sous forme de financements productifs ou de swaps de ressources. Mettre en place un programme national d’épargne pour la diaspora avec des rendements attractifs.

Maîtrise de l’Eurobond : Continuer d’émettre des eurobonds, mais avec une stratégie claire, en acceptant temporairement des coûts plus élevés, le temps que la confiance revienne.

Les Arbitrages Politiques : Le Courage de l’Inconfort

Ces solutions techniques ne sont que des instruments. Leur efficacité dépendra de la volonté politique de les mettre en œuvre. Cela impliquera des arbitrages douloureux : réduire les dépenses non prioritaires, parfois ancrées dans des logiques clientélistes, et faire preuve d’une discipline fiscale que l’on n’a pas vue depuis longtemps. Il faudra protéger les investissements sociaux (santé, éducation), essentiels pour éviter une crise humanitaire et sociale en cascade.

L’indépendance affichée vis-à-vis du FMI doit être compensée par une gouvernance économique irréprochable, un contrôle accru sur la dépense publique et une gestion proactive de la dette. Sans cette refonte profonde, le Sénégal s’enfoncera inexorablement vers le défaut de paiement. La responsabilité de l’équipe actuelle est immense : son inexpérience et son manque de préparation ont conduit le pays au bord du gouffre. Seule une réaction rapide, pragmatique et courageuse, articulée autour d’une restructuration de la dette menée par des experts aguerris, pourra sauver le Sénégal de cette crise historique. L’heure n’est plus à l’amateurisme, mais à la survie de la nation.