La dégradation de la note souveraine du Sénégal, abaissée le 10 octobre 2025 de B3 à Caa1 avec perspective négative, n’est pas un caprice d’analystes : c’est une alarme incendie. Elle clôt des mois d’illusions et confirme une spirale que chacun refusait de nommer. Depuis le départ de Macky Sall, le pays a encaissé deux nouvelles dégradations : S&P a rabaissé la note à B− en juillet, et Moody’s sévit après une sanction en février. Au-delà du bruit politique, la crédibilité budgétaire est entamée, et la facture arrive.

Les raisons avancées par Moody’s sont glaciales et vérifiables. La dette publique est estimée autour de 119 % du PIB en 2024, un sommet chez les émergents. Rapportée aux recettes, elle culmine à 581 %, ratio qui place le Sénégal dans la zone où l’arithmétique commande et la rhétorique abdique. Les intérêts absorberont près de 27 % des recettes d’ici 2026 : autant d’argent soustrait à l’école, à l’hôpital, à la sécurité énergétique. Faute d’un ancrage avec le FMI, Dakar se replie sur le marché régional de l’UEMOA, où les émissions se paient entre 6,75 % et 7,75 %. L’agence résume : « risques accrus sur la trajectoire de la dette et la liquidité ». Cette phrase devrait suffire à couper court aux dénégations.

Face à ce diagnostic, la réaction officielle tient du déni. Au lieu d’affronter les chiffres, le ministère a dénoncé une décision « spéculative, subjective et biaisée », et brandi le Plan de Redressement Économique et Social, la réforme du Code général des impôts et du Code des investissements, ainsi qu’une prétendue « exécution budgétaire rigoureuse ». Vieille antienne : quand les faits dérangent, on met le thermomètre au banc des accusés. Mais les investisseurs ne lisent ni sermons ni tweets, ils lisent des bilans. En juillet, S&P avertissait déjà que la montée des besoins de financement « intensifierait les pressions de financement ». Autrement dit : le temps perdu se paie comptant. Ironie du calendrier : la dégradation est tombée à peine quelques jours après le Forum de l’investissement à Dakar, où le gouvernement jurait avoir « restauré la confiance » des partenaires. Une sanction qui sonne comme un démenti brutal à ces promesses répétées d’engagements et de crédibilité retrouvée.

Parlons de l’incompétence, non comme invective mais comme méthode. Au lieu de consacrer son énergie à fustiger injustement et sans raison ses prédécesseurs, l’équipe en place devait s’arrimer sans délai à un programme crédible, séquencer les réformes, sécuriser l’appui multilatéral et cesser la communication contradictoire. Elle a tergiversé. On a proclamé un « plan de redressement », promis un réévaluation de la base du PIB, agité des « diaspora bonds » comme des talismans. Pendant ce temps, la négociation avec le FMI s’éternise, et l’État s’enferme dans un financement domestique coûteux qui asphyxie le crédit au secteur productif. Voilà l’incompétence : la confusion érigée en doctrine.

Qu’on ne s’y trompe pas : ce déclassement n’est pas une curiosité de salle de marchés, il s’invite dans la vie quotidienne. D’abord l’énergie : la suppression des subventions non ciblées, inévitable dans tout redressement sérieux, renchérit l’électricité et le carburant ; la hausse se diffuse aux transports, puis aux denrées. Ensuite le crédit : quand le Trésor aspire l’épargne domestique à des taux élevés, la PME est rationnée, reporte ses embauches, annule ses investissements. Puis les délais : un État en tension paie ses fournisseurs plus tard ; les chantiers s’arrêtent, les trésoreries familiales aussi. Enfin l’impôt : la réforme fiscale, utile sur le papier, devient confiscatoire si elle n’est pas accompagnée d’une discipline de dépense. Pour le citoyen, la « notation » n’est pas un concept : c’est le prix du ticket de bus, du pain et de la lumière.

Le vrai sujet est la gouvernance. La crise est d’abord une crise de sincérité. Il fallait une catharsis : publier tout, tout de suite ; adopter une comptabilité de caisse ; bannir les artifices ; accepter l’humilité d’un cadrage FMI rapide et exigeant. Au lieu de quoi, on a moqué les agences et multiplié les promesses, quand il fallait opposer des budgets crédibles, des audits indépendants, un plafond strict sur les engagements hors bilan et une stratégie lisible de gestion de la dette. Le slogan ne remplace pas la discipline ; la posture ne remplace pas les chiffres.

Rappelons la chaîne causale, sans pathos. Des dirigeants mal préparés, une séquence politique mal orchestrée, une communication bravache, des réformes tardives : voici la sanction. Quand un Premier ministre transforme la dette en polémique et qu’un Président entretient l’ambiguïté sur l’effort budgétaire, la facture tombe d’abord sur les plus vulnérables. La finance n’a pas d’idéologie ; elle a une mémoire et un prix. Infliger ce prix au pays au nom de l’orgueil, c’est manquer à l’essentiel : protéger le pouvoir d’achat et l’investissement.

La conclusion tient en un théorème juste : l’incompétence des dirigeants se paie en vies ordinaires. Elle se lit dans une facture d’électricité plus lourde, un ticket de transport plus cher, une embauche reportée, un impôt de plus. La dégradation de la note souveraine n’est pas une malédiction tombée du ciel ; c’est l’addition de mois d’aveuglement et d’amateurisme. Pour en sortir, il faut un pacte de vérité, des réformes crédibles, une transparence et un ancrage international. Tant que l’exécutif persistera dans le déni et l’improvisation, les agences n’auront plus à sévir : La réalité s’imposera, implacable, ligne après ligne dans le budget de l’État et dans la vie quotidienne de chaque sénégalais.