Le 6 septembre 2025, un décret expédie Ousmane Diagne hors du ministère de la Justice. À sa place, Yassine Fall, figure politique de la majorité, prend les clés d’un département que le nouveau pouvoir disait vouloir « libérer des pressions ». Le signal est clair : après dix-sept mois d’un compagnonnage prudent avec la magistrature, l’exécutif choisit la vitesse et l’alignement.
Les faits d’abord. Le remaniement acte la sortie de trois poids lourds, dont le général Jean-Baptiste Tine à l’Intérieur et Ousmane Diagne à la Justice. La présidence et les médias publics publient une liste sans ambiguïté : Yassine Fall devient Garde des Sceaux, tandis que Cheikh Niang reprend les Affaires étrangères. Ce n’est pas un simple jeu de chaises musicales : c’est une translation de la Justice d’un magistrat de carrière vers une responsable politique, membre de la galaxie PASTEF.
Qui est « l’évincé » ? Diagne n’est ni un apparatchik ni un novice : plus de trois décennies dans la robe, ex-procureur, doyen des juges d’instruction, puis avocat général à la Cour suprême avant de devenir ministre en avril 2024. On l’a présenté comme un « incorruptible », méthodique, attaché aux formes. Il revendiquait une boussole simple : ne pas « fragiliser l’institution judiciaire ». On l’a vu, fin juillet, saisir le parquet pour rouvrir le dossier des morts des violences politiques de 2021-2024, une initiative saluée par des familles en quête de vérité. Bref, un homme de dossiers, pas de tribunes.
Pourquoi tombe-t-il ? Parce que la Justice sous ce quinquennat n’est pas un décor : c’est un moteur politique. Dès septembre 2024, l’exécutif a mis sur les rails un pool judiciaire financier. Objectif affiché : traquer la corruption. Résultats revendiqués début 2025 : saisies, gardes à vue, transmissions à l’instruction par dizaines. Les uns y ont vu une reddition des comptes attendue, d’autres « une justice aux ordres ». Au cœur de cette mécanique, Diagne a assumé l’impopulaire : démêler des contentieux lourds, instruire sans spectacle et rappeler à l’ordre ceux qui voudraient « brusquer » les temps procéduraux. Un zèle tempéré, qui plaît rarement à ceux qui confondent injonction politique et office du ministère public.
Le nouveau pouvoir avait promis une « rupture ». Elle s’est traduite par une majorité parlementaire solide, un agenda anti-corruption offensif, l’idée d’abroger la loi d’amnistie votée sous Macky Sall, et la perspective de rouvrir des dossiers sensibles. Dans cette architecture, la Justice n’est pas qu’un pilier : elle devient levier. Quand la manivelle se grippe, quand un magistrat-ministre temporise, nuance, requalifie, le message revient, brut : l’ère est à l’exécution, pas à l’interprétation.
Les réactions politiques, elles, disent l’essentiel. L’opposition voit dans ce départ la confirmation d’un agenda « dangereux pour l’État de droit ». Des voix de la société civile s’inquiètent de voir la chancellerie passer d’une expertise magistrale à une tutelle politique plus assumée. Dans les couloirs des juridictions, la morale de l’histoire se murmure avec un haussement d’épaules : « faire le sale boulot ne suffit pas… encore faut-il le faire sans états d’âme ». Traduction : on pardonne l’impopularité, rarement la retenue.
Mettons ces éléments en perspective. La bascule d’un ministre-magistrat vers une ministre-politique n’est pas, en soi, un péché institutionnel : la Constitution n’exige pas la toge. Mais le timing et la séquence comptent. Remanier au moment où la machine anticorruption intensifie ses coups de butoir, où les familles de victimes attendent des suites judiciaires et où l’Intérieur change aussi de titulaire, dessine une cohérence : la chaîne pénale (police-parquet-chancellerie) est recomposée pour gagner en « capacité d’action ». La question n’est pas de savoir si l’action est possible (elle l’est) mais à quel prix pour la culture de l’indépendance.
Conséquence immédiate : un message dissuasif à destination des magistrats et des hauts fonctionnaires : l’obéissance prime sur la nuance. Ceux qui avaient cru à un modus vivendi, ceux qui pensaient concilier rythme judiciaire et impératifs politiques, découvrent qu’au pays de la rupture, la patience est un défaut. Le risque, plus profond, est d’abîmer ce qu’on prétend sauver : la crédibilité d’une Justice qui punit vite mais convainc peu. Car la reddition des comptes ne vaut que si elle se paie en procédures irréprochables, pas en slogans. Et une Justice durable ne s’obtient pas en cassant le thermomètre des contre-pouvoirs.
Reste la question centrale : cette éviction rend-elle la Justice plus efficace ? Peut-être à court terme, si l’objectif est de frapper fort, vite, symboliquement. Mais la peur ne remplace jamais la loyauté : elle la maquille. Et quand l’orage passera, on comptera, comme toujours, les procédures cassées, les relaxes spectaculaires et les rancœurs tenaces. La réforme judiciaire, elle, demande autre chose : du temps, des moyens, des textes et une constance qui ne s’achète pas au prix d’une tête de ministre.
En résumé, le limogeage d’Ousmane Diagne éclaire moins un homme qu’un système : une gouvernance qui préfère l’exécutant à l’interprète, l’élan à la mesure, le signal à la construction. C’est un pari. Il peut produire des victoires rapides. Mais dans un État de droit, la victoire se compte au long cours : en décisions tenues, en droits respectés, en confiance gagnée. Et cela, aucun remaniement ne l’impose par décret.