Faut-il prendre pour argent comptant le communiqué de la junte malienne qui vient d’arrêter plus de 50 personnes, civiles et militaires, accusées de « tentative de déstabilisation » du pays ?
Elle traite les personnes détenues de « marginaux ».
Depuis des semaines, des interpellations se poursuivent, marquées par celle de l’ex-Premier ministre Choguel Maïga, qui avait dirigé le gouvernement mis en place par les putschistes avant de les critiquer et d’être remercié.
Il serait toujours en garde à vue.
Les choses ont pris une plus grande ampleur avec l’arrestation de deux généraux : Dembélé et Sangaré, avec d’autres militaires et des civils (au total plusieurs dizaines de personnes) accusés de tentative de déstabilisation du pays, avec « l’aide d’États étrangers ».
Dans un communiqué lu à la télévision nationale, l’arrestation d’un ressortissant français est annoncée, avec la précision qu’il « est membre des services secrets ».
Le narratif cible donc l’ancienne puissance coloniale, la France, avec qui la junte a coupé tout lien, pour choisir de coopérer avec la Russie, au point de sous-traiter la sécurité du Mali au groupe Wagner, remplacé maintenant par Africa Corps.
Mais quels sont les autres États concernés que le communiqué semble désigner, en utilisant le pluriel ?
La communication de la junte tutoie le clair-obscur, soit par volonté de semer la panique chez ses opposants, soit pour entretenir la flamme des fausses accusations et réveiller les foules naguère conquises par un discours populiste anti-français qui s’est essoufflé.
Faute de résultats politiques depuis 5 ans que la junte dirige le Mali, et pire, faute d’embellie économique.
Pire, l’insécurité n’a jamais autant gangréné le territoire malien et la situation économique est aussi catastrophique.
L’échec de la junte pousse celle-ci dans une fuite en avant répressive dont les arrestations en cours témoignent.
L’imam Dicko, qui est devenu la bête noire de la junte, est en exil à Alger ; nombre de ses militants sont harcelés et/ou sous mandat de dépôt, les partis politiques interdits de manifestation, et les leaders politiques qui haussent la voix sont interpellés.
Avant Choguel Maïga, un autre ancien Premier ministre, Moussa Mara, a subi le courroux des putschistes qui l’ont empêché de se rendre à Dakar avant de l’écrouer.
La junte ne cache plus son jeu : celui de l’exercice d’un pouvoir dictatorial, comme le Mali indépendant en a subi plusieurs avec Moussa Traoré, Toumani Touré (qui avait cédé le pouvoir aux civils avant de le conquérir démocratiquement et d’être victime, lui aussi, d’un coup d’État).
Le cycle des putschs s’est poursuivi avec Sanogo, qui a perdu le pouvoir très vite.
Suivra la présidence IBK (Ibrahim Boubacar Keïta), qui sera écartée par la junte actuelle, laquelle réussit l’exploit de faire deux coups d’État successifs en 2021 et 2022.
L’ambition, naguère cachée et aujourd’hui affichée, de Goïta et ses compagnons est de monopoliser le pouvoir sur une longue durée.
D’ores et déjà, Goïta a été nommé président (par le Conseil national de transition que personne n’a élu) pour un mandat présidentiel de 5 ans, renouvelable.
Dans ce contexte de terreur politique, le seul moyen de continuer à confisquer le pouvoir est de « servir des complots de déstabilisation » au peuple.
Cette stratégie cynique permet aussi de donner l’impression d’agir au nom d’un peuple qui ne vous a pas élus, d’accuser qui on veut et d’emprisonner les opposants sous de fausses accusations.
L’ex-Premier ministre qui s’était mis au service des putschistes, Choguel Maïga, est en train de subir une dictature qu’il avait défendue.
La question de la véracité ou non de cette « tentative de déstabilisation » est secondaire.
C’est le constat de la confiscation des libertés démocratiques qu’il urge de dénoncer et l’illégitimité des putschistes à rendre la justice et à parler au nom du peuple malien qui ne les a pas élus.
En ce qui concerne une supposée participation d’États étrangers, la ficelle est trop grosse.
La France a rendu toutes les emprises militaires qu’elle détenait au Mali, qui a rompu ses relations diplomatiques avec elle.
Ses troupes, qui étaient venues prêter main forte aux FAMA, ont quitté le territoire, comme celles de l’ONU.
Si elle voulait déstabiliser le pays, elle avait des opportunités pour le faire lorsque ses forces militaires, largement supérieures à celles du gouvernement malien, étaient déployées sur place.
Accuser la France, sans oser le faire ouvertement, est un choix populiste qui ne va pas prospérer.
La junte doit assumer ses actes de purge et de terreur pour briser toute velléité d’expression et d’action démocratiques.
Elle doit surtout arrêter de détourner les yeux des citoyens de la réalité brutale de son action, qui est marquée du sceau de l’incompétence.
Ce communiqué sur une tentative de déstabilisation, pour ne pas dire de coup d’État, participe d’une diversion pour mettre sur le devant de la scène une autre actualité qui pourrait capter l’attention des Maliens.
Alors que le pays est en proie à l’insécurité jihadiste et communautaire, et que les Russes, qui ont d’autres chats à fouetter chez eux, n’ont pas les moyens de la juguler.
Par ailleurs, qu’il y ait des citoyens révoltés qui cherchent à défier la junte, ce serait parfaitement compréhensible.