Le 22 juin, dans la salle feutrée du sommet de la Cedeao à Abuja, Bassirou Diomaye Faye croyait tenir son heure de gloire. Comme un apprenti sorcier de la diplomatie ouestafricaine, il espérait faire main basse sur la présidence tournante de la Cedeao, un trophée symbolique – mais ô combien utile pour rehausser son image sur la scène internationale. Le président nigérian Bola Tinubu a tenté de ménager la chèvre et le chou: annoncer un consensus en faveur du SierraLéonais Julius Maada Bio tout en esquivant – jusqu’à ce qu’une opposition frontale éclate. Faye, visiblement pris au dépourvu, a opposé son veto, brandissant l’alphabet – oui, l’ordre alphabétique –, ainsi que la francophonie, en appui de son ambition personnelle. Un argument aussi pitoyable qu’un ultimatum mal construit.
Un huis clos sous tension : le jeune roi sans royaume
Le huis clos, qui s’est étiré sur trois heures sous haute tension, s’est vite transformé en une scène diplomatique grotesque. Les autres dirigeants, peu enclins à céder, ont rappelé la règle tacite : l’ancienneté prime. Bio élu en 2018, Faye depuis mars 2024 – ces faits étaient implacables. Même Patrice Talon, seul allié francophone à ses côtés, a rapidement rejoint la majorité en faveur de la candidature sierra-léonaise ; le désaveu est cinglant. Malgré l’intervention de Adama Barrow, qui a imploré Faye de privilégier le consensus sur les protocoles juridiques, c’est un président sénégalais acculé, dont l’art oratoire n’y a rien changé. Il a refusé avec véhémence tout compromis, dénonçant un « marchandage », avant de quitter la salle la tête haute… mais terriblement dépourvue.
Le piège francophone
Le commando francophone présumé – mené en coulisse par le président ivoirien Alassane Ouattara – n’a jamais vu le jour. Ouattara, Faure Gnassingbé et John Mahama avaient, selon toute vraisemblance, promis leur soutien au camp sénégalais… à condition de se présenter. Mais ni Ouattara ni le président togolais n’ont fait le déplacement : seuls des ministres des Affaires étrangères étaient présents; leurs voix ont été insignifiantes, inaudibles. Résultat : Faye, seul, dépourvu des relais attendus en amont, s’est retrouvé désarmé… et humilié.
Le contre-coup annoncé : un compromis refusé
Mais le drame etait loin d’être joué. L’offre – presque générique – de garantir la présidence suivante à Faye a été rejetée ; proposition pourtant limpide pour désamorcer la crise. À la place, le président lui-même a préféré refuser, dénonçant un « arrangement entre chefs d’État ». Il a quitté la salle sans un mot d’apaisement, déclarant qu’il n’était pas venu pour participer à un tel « marchandage ».
Retour amer à Dakar : les mots du désenchantement
De retour à Dakar, Bassirou Diomaye Faye ne rentrait pas d’Abuja victorieux, mais amer : la diplomatie qu’il brandissait comme novatrice avait été malmenée. Il n’avait pas simplement perdu la présidence de la Cedeao ; il en était ressorti désillusionné, taxant l’organisation de « syndicat de chefs d’État ». Ce désenchantement reflète un malaise profond : là où le Sénégal brillait par sa stabilité et sa finesse stratégique, l’exécutif nouvellement installé semble manquer de l’expérience et du réseau nécessaires pour peser durablement.
Faye semblait croire que son énergie suffirait, mais les réalisations concrètes restent rares. Il a bien reçu la mission, en juillet, de jouer les facilitateurs pour ramener les États sahéliens exclus — Burkina Faso, Mali, Niger — dans le giron de la Cedeao, mais jusqu’à présent, les rencontres à Bamako ou Ouagadougou ont débouché sur peu de résultats réels. Sa tentative de rallier ces nations restées sur leur trajectoire militaire s’est échouée dans un silence poli, là où il aurait fallu des négociations resserrées et des garanties fortes. Cette incapacité à transformer les engagements rhétoriques en avancées tangibles est un signe flagrant de l’immaturité diplomatique de son administration.
Quand les échecs diplomatiques s’enchaînent
En mai 2025, la candidature du Sénégalais Amadou Hott à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) s’est effondrée. Ressorte de ce scrutin : Hott, ancien ministre de l’Économie et technocrate chevronné, n’a obtenu qu’un minuscule 3,55 % face au Mauritanien Sidi Ould Tah (76,18 %). Le diagnostic est sévère : incompétence stratégique, absence de campagne, diplomatie frileuse. Malgré un soutien public de Faye et Sonko, le duo est accusé d’avoir été absent – « à la bourre » – sur le terrain diplomatique, les laissant seuls face à un rival bien préparé.
Faye, dès mars 2024, s’était engagé à réintégrer au sein de la Cedeao les trois États sahéliens exclus – Burkina Faso, Mali, Niger – en contournant la récente Alliance des États du Sahel (AES). En mai-juin, il est allé à Bamako, Ouagadougou : les réponses ont été froides ou inexistantes. Résultat ? Zéro retour concret.
Alors que Dakar aurait pu décrocher une nouvelle présence au Conseil des droits de l’homme (CDH) en octobre 2024, le pays a… tout simplement renoncé à candidater. Le vide a créé un blanc diplomatique que les cadres du Quai d’Orsay regrettent amèrement. Et les postes clefs au sein de l’ONU, qui autrefois souriaient au Sénégal, lui sont maintenant fermés.
L’imbroglio diplomatique : quand deux têtes brouillent le message
Loin de renforcer la stature internationale du Sénégal, la diplomatie sous l’ère Faye-Sonko ressemble à un jeu d’influences chaotique. Tandis que le Premier ministre multiplie déplacements et déclarations, souvent à l’étranger (Chine, Burkina Faso, Côte d’Ivoire), le président, censé incarner l’État, reste en retrait – ou du moins, perd en visibilité face à ces initiatives. Ce bicéphalisme – que certains diplomates qualifient de “confusion institutionnelle” – crée une cacophonie dans les relations extérieures du pays.
D’un côté, Sonko occupe le devant de la scène avec des positions tranchées, parfois polémiques, sur des dossiers sensibles (Français, médias, Sahel). De l’autre, Faye, contraint de jouer un rôle plus sage sur la scène internationale, se contente de messages plus modérés, créant un duel de leadership plutôt qu’un duo complémentaire.
Le résultat ? Les partenaires africains et européens sont désorientés : qui porte la voix du Sénégal ? Cette absence de clarté stratégique n’est pas un détail ; elle mine la crédibilité du pays face à une scène internationale de plus en plus compétitive.
Quand l’arrogance affaiblit les alliances
La posture de Faye – agressive, sectaire, incorruptible – contraste étrangement avec la raison d’État. Rejetant les compromis institutionnels, s’offusquant du moindre désaccord, il se positionne comme un agitateur, non comme un constructeur. Le résultat ? Un Sénégal isolé, mal regardé, privé de relais – même dans son propre camp linguistique. Le bloc francophone a préféré rassembler des majorités pragmatiques plutôt que de s’accrocher à un président rancunier et impuissant.
Le dernier avertissement avant le précipice
Le Sénégal, jadis phare de la stabilité, de l’intelligence diplomatique et de l’ancrage panafricain, se réveille aujourd’hui ébranlé. Sous Faye, la jeunesse prometteuse s’est muée en diplomatie à court-termiste, gesticulante, et irréfléchie – caricature maladroite des puissances montantes. Ironie cruelle : son ascension avait suscité l’espoir. Aujourd’hui, c’est l’inquiétude. Le royaume médiatique qu’il visait à bâtir s’est mué en piège : critique, cinglant, exigeant, il exige désormais des décisions stratégiques plutôt que des discours ampoulés. Sera-t-il capable de redresser le cap ? Ou survivra-t-il, seul, dans un club dont il a déchiré la seule force : le consensus ?