Jadis, Ousmane Sonko jurait ne jamais poser le pied aux Émirats arabes unis ou en Arabie Saoudite, dénonçant un modèle reposant selon lui sur l’argent du pétrole, les atteintes aux droits humains et un capitalisme moralement déficient. Cet homme, qui proclamait haut et fort que « tous ceux-là ne portent pas la vertu », semble aujourd’hui enfourcher un tout autre cheval.

Soudainement promu figure centrale de la diplomatie sénégalaise sous la présidence Bassirou Diomaye Faye, Sonko multiplie les démarches vers le Golfe. Il aurait demandé, selon des sources proches, une visite officielle de 48 heures aux Émirats, programmée du 8 au 10 juillet, dans le but de rencontrer plusieurs responsables émiratis. Objet : attirer financements et partenariats pour des projets d’envergure – exploration pétrolière, agriculture à haute valeur ajoutée, refinancement de la dette. La note de présentation envoyée à Abou Dhabi insiste sur des coentreprises, des fonds souverains potentiels et l’appui à l’industrialisation du pays.

Pourquoi ce revirement ?

Le Sénégal fait face à un déficit public considérable, aggravé par un contexte international défavorable et l’immobilisme des nouvelles autorités. Le pays a révisé à la hausse son déficit budgétaire à 7,8 % du PIB pour 2025, en raison d’un recul des recettes et d’un ralentissement de la croissance lié à des turbulences extérieures. Cette situation financière fragile, combinée à des retards dans les réformes et la gestion budgétaire, accentue la pression sur le gouvernement pour trouver des relais de financement fiables.

Par conséquent, l’exécutif, via Sonko, cherche à diversifier les sources de financement au-delà des partenaires traditionnels : France, Banque mondiale ou FMI. Le Golfe, disposant de liquidités abondantes, semble tout indiqué – malgré les contradictions avec ses convictions passées.

Méfiance et bilan contrasté

Pourtant, l’accueil est loin d’être triomphal. Les investisseurs du Golfe restent méfiants à l’égard de Sonko-Diomaye. Les revirements politiques de Dakar – à commencer par la suspension de l’accord de désalinisation avec Acwa Power en juillet 2024, dénoncé comme coûteux et non stratégique – ont ébranlé la confiance. L’initiative, pourtant initialement saluée comme la plus ambitieuse du genre en Afrique de l’Ouest, a été qualifiée d’« erreur », et Sonko a indiqué vouloir en reprendre la gestion directement. Il affirme que la résiliation faisait suite à une « faute » attribuée au président et à certains ministres.

La re-signature du contrat est censée figurer comme un acte de bonne volonté envers Riyad. Mais à l’autre bout, le prince héritier Mohamed Ben Salman n’a toujours pas accordé d’audience, malgré les démarches de Sonko depuis plusieurs mois. Le message adressé en coulisse : « je redresse la barre, pardon pour le passé, on peut repartir sur de nouvelles bases ». Ce ton concilient tranche avec l’image de fermeté qu’il cultivait en 2023.

Un casse-tête politique interne

Ce pragmatisme diplomatique crée un dilemme politique interne majeur. Sonko doit justifier à ses militants un volte-face stratégique : comment expliquer que les mêmes acteurs qu’il fustigeait – émiratis, saoudiens – soient maintenant sollicités ?

Il tente l’explication suivante en privé : « Le monde ne se divise pas entre bons et mauvais, mais entre réalistes et idéalistes ». Pour l’instant, ce discours permet de tenir ses partisans, en soulignant le contexte économique difficile du pays. Il se dit prêt, si Riyad ou Abou Dhabi ne répondent pas, à se tourner vers le Qatar, où il a déjà rencontré le ministre d’État aux Affaires étrangères à Doha en février 2025 . Une visite au Koweït serait également à l’étude.

Virage stratégique ou contradiction fielleuse ?

Cette série de déplacements s’inscrit dans un plan d’action diplomatique soutenu : rencontre à Pékin le 27 juin 2025, en marge du forum de Davos, où Sonko a été reçu par le président Xi Jinping . Sur le continent, il multiplie les contacts – avec la Chine, les institutions financières internationales, et l’Union européenne, dans le but d’asseoir un nouveau positionnement géopolitique.

Mais ce virage stratégique questionne : peut-on redresser l’économie et renforcer la coopération sans nuire à la réputation diplomatique du Sénégal ? La rupture fréquente d’accords à court terme fragilise la confiance des bailleurs. L’affaire Acwa Power reste un précédent lourd : analogue à l’alerte lancée par le FMI sur la fragilité économique du pays, elle a poussé Dakar à réévaluer sa trajectoire.

Diplomatie d’urgence : vers plus de cohérence et de crédibilité

Une diplomatie d’urgence gagnerait à se muer en une stratégie cohérente et structurée, avec des étapes claires : d’abord, un cadrage net des priorités nationales — énergie, eau, agriculture, dette — avant toute démarche auprès des partenaires étrangers ; ensuite, l’instauration d’un mécanisme juridique solide pour garantir la continuité des contrats sans recourir à des ruptures spectaculaires ; enfin, l’intégration de l’opposition et de la société civile dans ce tournant diplomatique, afin d’insuffler transparence et légitimité par le biais de débats publics, accompagnée d’une communication interne soignée pour préparer les partisans à ce virage pragmatique, alignant ainsi discours politique et impératifs économiques. Sans ces garde-fous, ce prétendu réalisme diplomatique risque de dériver vers un opportunisme désorienté, susceptible de ternir à moyen terme l’attractivité du Sénégal auprès des investisseurs et des institutions financières. Il faut toutefois reconnaître que c’est peut-être beaucoup demander à un responsable politique dont la compétence n’a guère été démontrée depuis sa prise de fonction.