Un nouveau scandale fiscal secoue le Sénégal. Au centre : un opérateur économique, des exonérations douanières bidon, des complicités administratives — et un État qui découvre, avec un étonnement feint, les fruits amers de sa propre indulgence.
Encore un chef-d’œuvre d’ingéniosité sénégalaise dans l’art du pillage organisé. Cette fois-ci, la médaille revient à Moustapha Ndiaye, opérateur économique émérite, spécialisé — non pas dans l’import-export — mais dans l’exportation discrète de l’éthique publique et l’importation massive de privilèges fiscaux frelatés.
Au cœur de ce petit théâtre douanier : un réseau bien huilé de fausses exonérations, monté avec une dextérité qui ferait pâlir d’envie les meilleurs escrocs de la City. Le stratagème ? Des exonérations douanières prétendument conçues pour stimuler l’investissement, transformées en pompe à cash pour initiés bien introduits. Un miracle fiscal dont seuls les cercles bénis de la République ont le secret.
Les exonérations, on le sait, sont censées soulager les entrepreneurs vertueux, œuvrant dans des secteurs stratégiques. Dans la réalité sénégalaise, elles servent surtout à engraisser des demi-dieux de l’administration et leurs partenaires de la haute combine. Moustapha Ndiaye aurait ainsi introduit, grâce à des autorisations aussi imaginaires qu’audacieuses, une belle quantité de marchandises, industrielles et alimentaires, sans débourser un franc de droit de douane. Il faut bien nourrir la machine.
Mais un tel prodige ne s’improvise pas. Il faut des appuis solides, des complicités bien placées, et une administration si poreuse qu’on pourrait y passer une cargaison de containers sans qu’elle s’en aperçoive. Agents des douanes, fonctionnaires du ministère des Finances, tout ce petit monde aurait généreusement contribué à ce carnaval fiscal. Fausses conventions, signatures falsifiées, parapheurs magiques… Un ballet bureaucratique orchestré avec un cynisme remarquable.
Résultat des courses : plus de 17 milliards de francs CFA qui se sont volatilisés dans les limbes de la délinquance en col blanc. Pendant ce temps, l’État serre la ceinture à coups de rigueur budgétaire, tandis que les nouveaux maîtres du pays chantent la lutte contre la corruption, entre deux séminaires à l’hôtel King Fahd.
Le parquet de Dakar, qu’on réveille une fois l’an pour faire semblant de s’indigner, a promis l’ouverture d’une information judiciaire. Moustapha Ndiaye, convoqué par la brigade économique et financière, devra probablement réciter sa version des faits — avant de rejoindre, qui sait, le confortable purgatoire des « mis en cause » qui ne verront jamais l’ombre d’une cellule.
Ce nouvel épisode s’inscrit dans la grande saga de l’impunité made in Sénégal, où les scandales surgissent au rythme des appels à la moralisation, et où chaque affaire chasse l’autre dans l’oubli programmé. On se souvient encore des précédentes affaires d’exonérations frauduleuses, classées sans suite ou ensevelies sous des tonnes de rapports confidentiels.
La société civile, fidèle à son rôle de témoin impuissant, s’indigne mollement. Une ONG, « Corruption sans frontière » — tout un programme — promet de saisir l’OFNAC et le parquet financier. On leur souhaite bon courage et beaucoup de stylos.
En somme, une énième comédie tragique qui rappelle que, dans la république des passe-droits, voler l’État n’est pas une anomalie : c’est la norme. Quant au citoyen lambda, il continuera à payer ses impôts, pendant que d’autres, plus malins ou mieux connectés, s’octroient le luxe de s’en affranchir — avec bénédiction administrative et silence complice.