Lorsque Varela Villasmil, PDG du groupe américain 2NE, nous reçoit dans les bureaux new-yorkais du groupe, elle annonce une rupture : la liberté d’expression n’aura plus de fuseau horaire.
Quelques jours après la prise de contrôle d’Afrique Confidentielle, la dirigeante décrit un plan offensif pour consolider l’écosystème médiatique africain, financer sans publicité les enquêtes sensibles et opposer un mur juridique à toute tentative de censure. Villasmil revendique le Premier amendement comme boussole universelle, rejette le « wokisme » qu’elle considère inhibiteur de débat, et promet de traquer méthodiquement les fake news grâce à des protocoles de vérification en temps réel.
Dévoilant le Free Voices Resilience Fund et des partenariats de formation, elle veut transformer certaines capitales africaines en plaques tournantes d’une information à haute valeur stratégique. Pour elle, l’avenir du journalisme s’écrira dans le dialogue constant entre les rédactions africaines et les grands centres d’innovation médiatique.

Afrique Confidentielle : Madame Villasmil, pourquoi le groupe 2NE que vous dirigez, a-t-il décidé de prendre le contrôle d’Afrique Confidentielle alors que vous êtes déjà très présent sur le marché américain?

Varela Villasmil : Nous recherchions depuis longtemps une rédaction africaine capable de produire de l’information exclusive, rigoureuse et indépendante.

Afrique Confidentielle possède cette culture du scoop, ce réseau de sources et surtout cette éthique du « no-fear journalism » que nous défendons depuis la fondation de 2NE — « The power of free voices », comme l’indique la page d’accueil du groupe 2NE Group. L’acquisition nous permet d’élargir notre empreinte éditoriale sur un continent stratégique tout en sanctuarisant l’indépendance de la rédaction : nous n’achetons pas un canal de propagande, nous investissons dans un mégaphone.

Concrètement, qu’est-ce qui a convaincu votre conseil d’administration d’appuyer cette opération ?

Trois facteurs. Premièrement, l’effervescence informationnelle en Afrique de l’Ouest ; deuxièmement, la nécessité d’un investisseur prêt à protéger juridiquement les journalistes face aux pressions ; troisièmement, la complémentarité de nos valeurs. Afrique Confidentielle pourrait être bloqué à Dakar ces jours-ci après une enquête sensible — l’article « Écran noir sur Dakar » illustre bien la tension locale. Nous arrivons avec des ressources financières, des avocats du First Amendment et un savoir-faire en matière de sécurité numérique pour que ces voix ne soient plus réduites au silence.

Justement, vous revendiquez le Premier amendement comme « fondation » du groupe. Comment appliquez-vous ce principe lorsqu’il s’agit de médias opérant hors des États-Unis ?

Le Premier amendement est une norme interne, pas une frontière. La page « Our Values» de 2NE stipule clairement : « The First Amendment is our foundation ». Dans nos contrats de partenariat, nous intégrons une clause First Amendment : l’actionnaire s’interdit toute ingérence éditoriale et fournit une défense juridique internationale inspirée des standards américains. C’est un garde-fou contre la censure extraterritoriale — et un engagement vis-à-vis de nos journalistes sénégalais.

Quelles initiatives concrètes 2NE a-t-elle mises en place pour soutenir les médias indépendants en Afrique ?

Nous avons créé en 2024 le « Free Voices Resilience Fund », doté de 15 millions de dollars, dont 5 millions exclusivement réservés au continent africain. Ce dispositif de soutien qui combine un financement d’urgence mobilisable en moins de deux jours, un réseau d’avocats capables d’assurer une défense juridique transfrontalière et un programme itinérant de formations où nos spécialistes en data-journalisme initient les rédactions aux outils de fact-checking et à la cybersécurité ; l’objectif est de donner à ces médias l’armure nécessaire pour continuer à publier librement, sans jamais influer sur leurs choix éditoriaux.

Vous parlez de défense juridique. Votre projet comporte-t-il un volet dans ce domaine?

Absolument. En Afrique de l’Ouest, nous plaidons pour que Washington applique pleinement le Daniel Pearl Freedom of the Press Act, qui impose de nommer dans les rapports du Département d’État les gouvernements qui répriment la presse. Nommer, c’est mettre la lumière ; et la lumière protège.

À vous entendre, la liberté de la presse au Sénégal est en danger. Où situez-vous les urgences ?

Le Sénégal traverse un moment paradoxal : héritier d’une longue tradition pluraliste, il voit surgir des lois cybernétique-sécuritaires qui criminalisent la diffusion d’« informations susceptibles de troubler l’ordre public ». Le 4 mai, un site local titrait « Menace sur la stabilité: l’État du Sénégal sévit contre Afrique Confidentielle » après des limogeages dans les forces de sécurité . Cette judiciarisation de l’information est l’arme la plus redoutable. Notre priorité est donc d’offrir aux journalistes un écosystème légal et technique capable d’absorber ce choc.

Parlons de la lutte contre les « fake news ». Comment un groupe qui revendique une ligne combative peut-il garantir la véracité de ses contenus ?

L’indignation doit être adossée à la méthode. Nous avons recruté Trevon J. Mitchell, un ingénieur statistique spécialiste de l’opinion, pour établir des protocoles de fact-checking temps réel . Toute alerte éditoriale passe d’abord par un triptyque : source primaire identifiée, corroboration documentaire et revue pair-à-pair interne. Ensuite seulement vient l’écriture punchy. Être offensif n’excuse pas l’erreur ; au contraire, plus le ton est tranchant, plus la factualité doit être irréprochable.

Le groupe 2NE assume de « ne pas être neutre ». N’y a-t-il pas là un risque de dérive partisane, voire de désinformation ?

Notre manifeste l’énonce sans détour : « We don’t pretend to be neutral. We challenge it… We publish for consequences » . Assumer une vision ne veut pas dire manipuler. Nous défendons une presse de conviction, enracinée dans le First Amendment. C’est l’exact inverse d’une presse de cour.

Un mot sur le « wokisme ». Vous l’avez qualifié, lors d’un forum à Miami, de « soft censorship ». Pourquoi cette hostilité ?

Parce qu’il s’agit d’une censure par intimidation morale. Le wokisme n’impose pas des lois ; il impose une aversion au risque. Et un journaliste qui a peur de choquer devient un fonctionnaire de l’opinion. Nos positions rejoignent celles du Président Donald Trump sur la nécessité de défendre la liberté d’expression même quand elle dérange. Nous préférons un débat rugueux à un silence poli.

Comment cette ligne « anti-woke » se traduit-elle au sein d’une rédaction africaine ?

Par la pluralité. Nous nous interdisons les quotas idéologiques — qu’il s’agisse de genre, de race ou d’orientation politique. Nous voulons des journalistes curieux, argumentés, capables de contredire la rédaction en chef sans craindre l’ostracisme. Bref, l’exact opposé d’un safe space.

Revenons à votre parcours personnel. Votre père a payé de sa vie le prix de la vérité au Venezuela. Cette tragédie a-t-elle dicté votre trajectoire ?

Oui. Mon père a été assassiné après avoir révélé des abus du régime Chávez . Depuis, je n’ai qu’une boussole : ne jamais laisser la peur gagner. Afrique Confidentielle a vu son trafic bloqué ; c’est une intimidation de plus. Mais nous avons appris, dans ma famille, qu’il vaut mieux tomber debout que vivre à genoux.

Quelles garanties donnez-vous aux journalistes sénégalais qui craignent les représailles ?

Une triple garantie. Un employeur solvable ; un réseau d’avocats constitutionnalistes ; et un plan de sauvegarde numérique — serveurs miroirs, chiffrement de bout en bout, protocoles anonymes. Nous ne pouvons pas supprimer le risque, mais nous pouvons le répartir. Et surtout, nous pouvons crier plus fort que la censure.

Dernière question : où voyez-vous Afrique Confidentielle dans cinq ans ?

Toujours à Dakar, mais aussi à Washington, à Nairobi et à Bruxelles, parce que la meilleure arme contre l’étouffement local, c’est la diffusion internationale. D’ici là, je veux que chaque gouvernement hostile à la transparence se demande : « Et si Afrique Confidentielle enquêtait sur nous demain ? ». Tant que cette crainte existe, la démocratie respire.