La déclaration fracassante du Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, devant les députés ce lundi 14 avril, a jeté un pavé dans la mare des relations économiques ouest-africaines. Affirmant que le FCFA « ne cadre pas avec [sa] vision », il a lancé un ultimatum à ses partenaires de l’UEMOA : soit la monnaie commune est réformée, soit le Sénégal « prendra ses responsabilités ». Des propos qui, au-delà de leur tonalité unilatérale, soulèvent de graves questions sur la cohérence économique et diplomatique de Dakar.
La formulation employée par Ousmane Sonko ne passe pas inaperçue. En fixant des « délais » à des pays souverains et à leurs présidents, le chef du gouvernement sénégalais adopte une posture injonctive peu compatible avec les principes de coopération régionale. L’UEMOA, union fondée sur la concertation et la solidarité monétaire, ne saurait être dirigée par des diktats unilatéraux.
Cette sortie intervient dans un contexte où le Président Bassirou Diomaye Faye, pourtant chef de l’État, semble laisser son Premier ministre prendre des initiatives qui relèvent traditionnellement de la diplomatie présidentielle. Un parallélisme des formes qui interroge : pourquoi un chef de gouvernement s’arroge-t-il le droit de menacer des partenaires régionaux, normalement interlocuteurs réservés aux présidents ?
La phrase la plus lourde de conséquences dans le discours de Sonko est sans conteste : « soit nous prendrons nos responsabilités ». Une formulation qui laisse entendre que le Sénégal pourrait, en cas de désaccord, quitter le FCFA et créer sa propre monnaie. Une perspective qui fait froid dans le dos, tant les risques économiques sont immenses.
L’histoire récente montre qu’aucun pays africain n’a réussi à prospérer en rompant brutalement avec une zone monétaire structurante.
La Guinée-Conakry, après son indépendance monétaire en 1960, a connu des décennies d’instabilité financière. Plus récemment, la Gambie, qui utilise le dalasi, peine à stabiliser sa devise face aux pressions inflationnistes. Même le Ghana, pourtant doté d’une monnaie souveraine (le cedi), est régulièrement secoué par des dépréciations massives.
Quitter le FCFA, c’est exposer le Sénégal à une dévaluation incontrôlable (une nouvelle monnaie non adossée à des réserves solides serait vulnérable aux attaques spéculatives) et une inflation galopante (les importations, vitales pour l’économie sénégalaise, deviendraient plus chères).
Mais aussi, le Senegal va courrir le risque d’une fuite des capitaux (les investisseurs fuient l’incertitude monétaire) et un isolement régional (le commerce intra-UEMOA, essentiel pour les entreprises sénégalaises, serait perturbé).
Le plus troublant dans cette affaire est le silence assourdissant des économistes et des experts financiers sénégalais. Alors que Sonko multiplie les déclarations radicales, peu de voix s’élèvent pour rappeler les fondamentaux de la stabilité monétaire.
Est-ce par crainte de représailles politiques ? Par adhésion idéologique à un souverainisme monétaire mal maîtrisé ? Ou simplement par méconnaissance des mécanismes économiques en jeu ? Quoi qu’il en soit, ce mutisme est coupable. Un pays ne se construit pas sur des slogans, mais sur des politiques économiques rationnelles.
La souveraineté monétaire est une question qui ne peut être traitée par des menaces précipitées. Elle exige une analyse rigoureuse, une concertation approfondie avec les partenaires de l’UEMOA, et une stratégie de sortie progressive si une alternative crédible existe.
En l’état, brandir la possibilité d’une rupture unilatérale relève de l’inconséquence. Le Sénégal a-t-il les moyens de se payer une telle expérience ? Rien n’est moins sûr. Et quand bien même Dakar parviendrait à créer sa propre devise, à quel coût pour le pouvoir d’achat des Sénégalais ?
La monnaie n’est pas un symbole politique, mais un outil de stabilité.
Gare à ceux qui jouent avec le feu monétaire.