Asmara accuse Addis-Abeba d’une « campagne de dénigrement » et dénonce des provocations dans un contexte de tensions régionales exacerbées.

Les relations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, marquées par des décennies d’affrontements et de réconciliations éphémères, connaissent une nouvelle détérioration. Jeudi 20 février, le ministre érythréen de l’Information, Yemane Gebremeskel, a accusé Addis-Abeba de mener une « campagne intense et inacceptable » contre son pays. Dans un long message publié sur X, il a dénoncé des « provocations malveillantes » orchestrées par le gouvernement éthiopien, ajoutant un nouvel épisode aux tensions récurrentes entre les deux voisins de la Corne de l’Afrique.

Une histoire de relations tumultueuses

Depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, les relations entre les deux pays ont oscillé entre conflits ouverts et tentatives de rapprochement. Une guerre frontalière meurtrière entre 1998 et 2000, ayant fait des dizaines de milliers de morts, a laissé des plaies profondes. La signature d’un accord de paix en 2018, sous l’impulsion du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, lui avait valu le prix Nobel de la paix l’année suivante.

Mais cette brève détente a volé en éclats après la guerre du Tigré (2020-2022), où l’armée érythréenne avait appuyé les forces fédérales éthiopiennes contre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Accusées de crimes de guerre par l’ONU et plusieurs ONG, dont Amnesty International, les troupes d’Asmara avaient finalement été rappelées en 2022, sur fond de pressions internationales.

L’accord avec le Somaliland, un nouveau point de discorde

Ces tensions se sont ravivées début 2024 avec la signature d’un accord entre l’Éthiopie et le Somaliland, région séparatiste somalienne, qui prévoit un accès à la mer pour Addis-Abeba. Ce mémorandum, dénoncé par Mogadiscio comme une atteinte à sa souveraineté, a également suscité l’hostilité d’Asmara.

« Cet accord ne fait qu’accroître les tensions régionales, créant un chaos et des crises inutiles », a affirmé Yemane Gebremeskel, estimant que cette initiative unilatérale de l’Éthiopie compromet davantage la stabilité de la région.

Si le gouvernement éthiopien est resté silencieux face aux accusations érythréennes, Mulatu Teshome, ancien président éthiopien, a récemment jeté de l’huile sur le feu. Dans une tribune publiée sur Al Jazeera, il a accusé Asmara « d’attiser les conflits », comparant le président érythréen Issaias Afeworki, au pouvoir depuis 1993, à un « pyromane ».

Mobilisation militaire en Érythrée ?

Dans ce contexte de crispation, l’ONG Human Rights Concern Eritrea (HRCE) a affirmé mardi qu’Asmara aurait ordonné une mobilisation militaire nationale, appelant tous les citoyens de moins de 60 ans à rejoindre les rangs de l’armée.

Une information impossible à vérifier de manière indépendante, l’Érythrée étant l’un des pays les plus fermés au monde, souvent comparée à la Corée du Nord de l’Afrique en raison de son contrôle strict de l’information et de la liberté d’expression.

Si l’axe Asmara-Addis-Abeba semblait solidifié durant la guerre du Tigré, la nouvelle donne géopolitique en Corne de l’Afrique rebat les cartes. L’accord éthiopien avec le Somaliland, les rivalités historiques et la course aux ressources maritimes accentuent les fractures.

Dans une région en proie à des instabilités chroniques, ces tensions entre l’Érythrée et l’Éthiopie pourraient avoir des répercussions bien au-delà de leurs frontières.