Les zones Franc CFA, en Afrique de l’Ouest (UEMOA) et en Afrique Centrale (CEMAC), traversent une crise économique et financière d’une gravité sans précédent. Une tempête parfaite s’est abattue sur ces économies, conjuguant une dette insoutenable, une pénurie de devises, une austérité rampante, et la menace imminente d’une dévaluation du Franc CFA. Des sommets d’urgence se multiplient, à Yaoundé pour la CEMAC et à Abuja pour l’UEMOA, témoignant de l’urgence de la situation. Derrière les huis clos des négociations, plane le spectre d’une crise sociale et politique majeure, dont les populations, déjà fragilisées, risquent de payer le prix fort.

Deux Régions, une Même Dérive

L’UEMOA et la CEMAC, bien que géographiquement distinctes, partagent une monnaie commune, le Franc CFA, et des défis économiques similaires. La CEMAC, composée du Cameroun, du Congo-Brazzaville, du Gabon, de la Guinée équatoriale, de la République centrafricaine et du Tchad, est confrontée à un endettement massif. Le Congo-Brazzaville est au bord du défaut de paiement, avec des fonctionnaires impayés depuis des mois, tandis que la Guinée équatoriale, autrefois prospère grâce au pétrole, est plongée en pleine récession. Les autres membres ne sont pas épargnés, avec une dette publique qui atteint des sommets insoutenables, tant sur les marchés internationaux qu’au niveau national.

Du côté de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), la situation est tout aussi préoccupante. Les pays membres peinent à emprunter sur les marchés régionaux et internationaux, confrontés à des taux d’intérêt exorbitants, dépassant parfois les 10 %. Une pénurie de devises sévit depuis plusieurs mois, obligeant les opérateurs économiques à justifier les paiements en monnaies étrangères supérieurs à 4 500 euros. Cette crise affecte particulièrement le Togo et le Bénin, tandis que la Côte d’Ivoire, grâce à son attractivité pour les investisseurs étrangers, semble relativement mieux lotie.

Les Facteurs d’une Crise Profonde

Plusieurs facteurs convergents expliquent cette crise multidimensionnelle. La mauvaise gestion économique et la corruption endémique, ancrées depuis des décennies dans de nombreux pays de la zone Franc, ont contribué à un endettement chronique et à une dépendance excessive aux matières premières. La redistribution des cartes géopolitiques, avec l’émergence de nouvelles puissances économiques et un désintérêt relatif des investisseurs traditionnels pour des pays où l’État de droit est souvent fragile, a accentué les difficultés de financement. La crise sanitaire mondiale de la Covid-19, suivie de la guerre en Ukraine et de la volatilité des prix des matières premières, notamment le pétrole pour la CEMAC, ont agi comme des révélateurs et des accélérateurs de ces vulnérabilités structurelles.

La situation des pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger), membres de l’UEMOA mais secoués par des coups d’État et des crises sécuritaires, ajoute une complexité supplémentaire. La chute drastique des investissements étrangers dans ces pays, conjuguée à des pratiques de contournement du système bancaire pour les transactions, notamment militaires, affaiblit considérablement la zone monétaire ouest-africaine. Le Mali, en particulier, accumule une dette importante envers l’UEMOA et refuse de régulariser sa situation, exacerbant les tensions au sein de l’organisation.

L’Étau du FMI et le Spectre de l’Austérité

Face à cette situation critique, le Fonds Monétaire International (FMI) joue un rôle central. En tant que principal créancier et architecte des politiques d’ajustement structurel, il exerce une pression considérable sur les États pour adopter des réformes douloureuses. L’objectif affiché est de rendre les dettes « soutenables » et d’assurer le remboursement des créanciers. Mais dans les faits, cela se traduit par des mesures d’austérité draconiennes : augmentation des taxes, réduction des dépenses publiques, suppression des subventions, notamment sur les carburants. Ces politiques, bien qu’elles puissent rassurer les marchés à court terme, ont des conséquences sociales désastreuses, aggravant la pauvreté et les inégalités.

La Dévaluation, une Bombe à Retardement

La menace d’une dévaluation du Franc CFA plane comme une épée de Damoclès sur les deux régions. Cette mesure, souvent présentée comme un dernier recours, vise à améliorer la compétitivité des exportations et à réduire le poids de la dette extérieure. Cependant, l’expérience de la dévaluation de 1994 rappelle les conséquences dévastatrices d’une telle décision. L’envolée des prix des produits importés, dont dépendent fortement ces économies, réduirait encore davantage le pouvoir d’achat des populations, déjà mis à rude épreuve par l’austérité.

Des réunions d’urgence se succèdent, à Yaoundé pour la CEMAC et à Abuja pour l’UEMOA, témoignant de la gravité de la situation. La présence de représentants du FMI, des ministères des Finances français et de la BCEAO à ces sommets indique que la question de la dévaluation est bel et bien sur la table. Si en 2016, un compromis avait permis d’éviter cette issue grâce à l’instauration de réformes budgétaires, la situation actuelle, marquée par une économie mondiale incertaine et les séquelles des crises successives, rend cette option de plus en plus probable.

Une Crise de Leadership et un Avenir Incertain

Au-delà des aspects économiques et financiers, les zones Franc CFA souffrent d’une crise de leadership. Au sein de l’UEMOA, par exemple, la présidence par intérim assurée par Alassane Ouattara depuis plusieurs années peine à trouver un successeur, illustrant les divergences et les tensions entre les États membres. Cette absence de leadership fort complique la mise en œuvre de solutions concertées et efficaces.

L’avenir des zones Franc CFA est donc plus qu’incertain. La réunion du 16 décembre à Yaoundé pour la CEMAC et celle du 14 décembre pour l’UEMOA à Abuja apparaissent comme des moments cruciaux. Les chefs d’État, sous la pression des bailleurs de fonds, devront trouver un équilibre entre les exigences internationales et les impératifs sociaux et économiques de leurs pays. Mais la marge de manœuvre est étroite. La dévaluation, bien qu’elle puisse apporter un soulagement temporaire aux finances publiques, risque de plonger des millions de personnes dans une précarité encore plus profonde.

Il ne s’agit pas seulement de sauver une monnaie, mais de préserver la stabilité économique et sociale de régions entières. Les décisions qui seront prises dans les prochains jours auront des conséquences durables et pourraient marquer un tournant historique, dont l’issue, pour l’heure, demeure profondément inquiétante. En attendant, les populations retiennent leur souffle, conscientes que dans ce jeu complexe, elles risquent d’être les premières victimes.