Il y a des signes que seuls les initiés peuvent interpréter. Ces mouvements imperceptibles au grand public, mais qui, mis bout à bout, dessinent une réalité irréfutable : la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) est au bord d’un séisme monétaire majeur. Des sources proches des milieux financiers, corroborées par une analyse approfondie des données économiques, confirment que deux scénarios se dessinent : une dévaluation imminente du franc CFA ou une rupture radicale avec la parité fixe à l’euro. Si ces hypothèses circulent dans les cercles restreints des décideurs et des analystes, leurs implications, elles, pourraient ébranler tout un continent.

Derrière l’omerta officielle, la situation est critique. Les déficits budgétaires des États membres explosent, les réserves de change s’effondrent, et la pression internationale monte. Simultanément, les revendications de souveraineté monétaire se multiplient dans une région lassée des vestiges de la tutelle coloniale. Mais ce n’est pas tout : des puissances étrangères aux ambitions troubles semblent avoir trouvé dans cette fragilité une opportunité stratégique. Une enquête exclusive permet de lever le voile sur les ramifications de cette crise.

Une économie au bord du précipice

Les chiffres obtenus de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) et de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sont sans appel. La Cemac peine à maintenir sa croissance, plombée par la dépendance aux matières premières et l’absence de diversification économique. Le Tchad et la République centrafricaine, deux piliers fragiles, affichent des déficits abyssaux. Pendant ce temps, les réserves de change, censées garantir la stabilité du franc CFA, se volatilisent à un rythme alarmant.

Les experts que nous avons interrogés sont unanimes : le modèle actuel est intenable. Officiellement, aucune décision n’est encore annoncée, mais des discussions intenses se tiennent en coulisses. “Tout le monde se souvient de la dévaluation de 1994”, confie une source gouvernementale sous couvert d’anonymat. “Mais cette fois, les enjeux sont encore plus grands. Ce qui est en jeu, c’est la survie même de la zone franc.”

Scénario 1 : La dévaluation, une pilule amère mais inévitable ?

L’idée d’une dévaluation circule de plus en plus librement parmi les technocrates. Pourquoi ? Parce qu’elle offrirait un sursis à court terme. En rendant les exportations plus compétitives, une dévaluation pourrait, théoriquement, relancer les économies locales. Mais ce répit aurait un prix exorbitant : inflation galopante, explosion des coûts d’importation, et une dette publique étranglée par des remboursements encore plus lourds.

“Ce serait une saignée pour les populations”, avertit un haut cadre bancaire basé à Douala. L’exemple de la flambée des prix des denrées alimentaires est évoqué comme un cas d’école. Et pourtant, certains poids lourds de l’économie régionale y voient une issue presque inévitable, une sorte de “mal nécessaire” face à une situation de blocage.

Scénario 2 : Une rupture avec l’euro, le rêve de souveraineté monétaire

Dans un tout autre registre, des voix s’élèvent pour réclamer une émancipation totale du franc CFA. L’idée ? Abandonner la parité fixe avec l’euro pour permettre aux pays de la zone de retrouver leur souveraineté monétaire. Une rupture historique qui pourrait redonner aux économies locales la capacité d’ajuster leur politique monétaire aux besoins internes. “Ce serait un saut dans l’inconnu”, admet un économiste proche de l’Umoa. La volatilité d’une monnaie non adossée à l’euro effraie, tout comme les risques pour les investisseurs étrangers. Mais l’argument de la souveraineté trouve un écho grandissant parmi les élites politiques africaines, frustrées par ce qu’elles perçoivent comme une tutelle française qui perdure.

Une partie d’échecs géopolitique

Et c’est ici que l’affaire prend une dimension encore plus complexe. Des documents confidentiels que nous avons pu consulter révèlent que cette crise monétaire pourrait être exacerbée par des ingérences étrangères. La Chine, omniprésente dans les infrastructures africaines, verrait d’un bon œil une plus grande liberté monétaire pour renforcer son emprise économique. La Russie, déjà active dans le domaine sécuritaire, pourrait profiter de l’instabilité pour étendre son influence géopolitique. “Ce que ces acteurs cherchent, c’est de marginaliser l’influence européenne”, affirme un diplomate européen en poste à Libreville. Quant à la France, historiquement pilier de la zone franc, elle peine à maintenir une position cohérente. La réduction de l’aide publique au développement, pourtant stratégique, est perçue comme un désengagement par ses partenaires africains.

Ce qui pourrait advenir

Si cette analyse éclaire les scénarios possibles, une chose est certaine : les mois à venir seront décisifs. La dévaluation ou la rupture avec la parité fixe, quel que soit le choix, entraînera des bouleversements profonds. Les économies locales, déjà sous pression, pourraient basculer dans une instabilité prolongée. Les populations, prises en étau entre une inflation galopante et une perte de confiance dans leurs institutions, risquent de réagir violemment.

Pour tenter de trouver des solutions et devant l’urgence de la situation, une réunion est prévue  ces lundi et mardi à Yaoundé au Cameroun entre les chefs d’Etats de la CEMAC. Une réunion qui devra apporter des solutions concrètes pour éviter une crise économique que la région ne pourra pas supporter.