L’armée coloniale française a perpétré de nombreux massacres odieux, inscrits à jamais dans la mémoire des peuples d’Asie, d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique.
Dresser une liste des crimes, en les classant des plus abominables aux plus insoutenables, est une entreprise puérile.
Mais refuser de les oublier est plus qu’un devoir de mémoire : c’est avoir conscience des vertus que les leçons de l’Histoire impriment à jamais dans la mémoire indestructible des peuples.
Le crime contre l’humanité commis le 1ᵉʳ décembre 1944 à Thiaroye, dans la banlieue de Dakar, est une ignominie fixée dans le temps d’un passé qui ne passe pas.
Parce qu’il y a des dizaines de soldats africains (tirailleurs sénégalais venus des différentes colonies françaises d’Afrique) qui ont été assassinés, et de manière d’autant plus bestiale qu’elle défie toute raison, toute tentative de « compréhension » d’un acte odieux qui ne peut être attribué qu’à un dément, un psychopathe.
Comment décider de faire feu sur des soldats, de retour du front, qui ont aidé la France à combattre victorieusement la barbarie nazie, dont le seul « tort » était de réclamer « leurs indemnités et pécule (chose promise) » ?
Comment accepter qu’un tel crime soit resté « interdit d’évocation » en France pendant des décennies ?
Et que le film Camp de Thiaroye (réalisé par Sembene Ousmane et Thierno Ndiaye en 1988) fût interdit de projection en France pendant dix ans ?
Ce choix des gouvernements français successifs les éclabousse à jamais pour complicité nauséabonde et volonté condamnable de cacher la vérité historique.
Aujourd’hui, ces vaines tentatives ont échoué, et le président François Hollande reconnaît la boucherie de Thiaroye comme un massacre à la mitrailleuse.
Emmanuel Macron (né en 1977), qui, comme François Hollande (né en 1954), n’était pas né en 1944, a décidé de venir à Dakar, à l’invitation du président Bassirou Diomaye Faye, pour prendre part à la commémoration du 80ᵉ anniversaire du massacre de Thiaroye.
Il accomplit ainsi un acte politique fort en rendant un hommage posthume aux soldats africains abattus par l’armée française.
Cette présence est tout à son honneur et à celui des nouvelles générations françaises qui assument l’Histoire dans ses dimensions lumineuses et obscures tout à la fois.
Le déni de réalité est une faiblesse indigne d’un peuple qui se réclame de la philosophie des Lumières.
Le lourd héritage esclavagiste et colonial est moins un boulet à porter pour les générations actuelles qu’un livre avec des pages rafraîchissantes et des chapitres qui font vomir de dégoût.
C’est comme avec le roman de Robert Louis Stevenson L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde : il faut tout lire et faire face aux actes monstrueux.
La colonisation a été un crime contre l’humanité, une entreprise multidimensionnelle de meurtres, d’acculturation, d’utilisation des colonisés les uns contre les autres, et donc de déshumanisation totale.
Le massacre de Thiaroye est à situer dans ce contexte historique terrifiant dans lequel « l’homme de couleur » n’est pas un « sujet » au sens philosophique du terme, mais un objet. « Colonisation = chosification », affirme Aimé Césaire à juste raison !
Les assassinats qui ont souillé les États colonialistes doivent être investigués par les historiens du monde entier pour éduquer les générations nouvelles et futures.
Le devoir de mémoire est un sacerdoce pour apprendre à pardonner sans jamais oublier.
Même aujourd’hui, lorsque criminels et victimes sont très nombreux au rendez-vous de l’au-delà, l’impensable et toujours incompréhensible tuerie de Thiaroye convoque la réflexion et interpelle l’humain face à sa propre conscience.