Toute la journée d’hier, le chef de l’Etat et président de l’ANC, parti majoritaire, Cyril Ramaphosa, a témoigné devant la Commission anti- corruption, qui enquête depuis 2018, sur « les soupçons de fraude et de corruption au sein de l’Etat et l’accaparement du pouvoir par une minorité ».
Les relations politico-économiques « incestueuses », entre la famille Gupta et l’ex-président Jacob Zuma, sont aussi, au cœur des investigations.
L’épreuve était redoutable pour Ramaphosa, qui a une position assez fragile au sein de l’ANC où les partisans de Zuma sont encore nombreux et fidèles au leader charismatique zulu.
Ramaphosa s’était imposé pour battre la candidate des pro-Zuma, Mme Dlamini Zuma, ex-femme de Jacob, d’une courte tête.
Depuis, il doit marcher sur des œufs pour préserver la cohésion du parti de Mandela, héritier de la longue lutte victorieuse contre les racistes blancs tenants du système politique odieux de l’Apartheid.
Mais cet exercice d’« équilibriste », l’empêche de purger l’Anc et de vaincre le cancer de la corruption qui le gangrène.
Le riche Ramaphosa peut-il porter un tel combat de manière crédible ? Sa fortune ne pose-t-elle pas question, dans un pays où les Noirs millionnaires ou milliardaires sont une infime minorité, souvent cataloguée proche et/ou utilisée par les Blancs ?
Quoiqu’il en soit, le témoignage du président a été décevant ; même s’il reconnaît que la corruption et la capture de l’Etat ont abîmé « notre économie et notre société ; elles ont érodé les valeurs défendues par notre Constitution et affaibli l’Etat de Droit ».
Il affirme que l’ANC « reconnaît l’ampleur de la corruption dont se rendent complices, directement ou indirectement, certains de ses membres ».
Le mea culpa ne va pas plus loin : aucun nom cité, aucun responsable ciblé nommément !
Ramaphosa est courageux,mais pas téméraire.
Il veut nettoyer les « écuries d’Augias », mais veut éviter de déclarer la guerre à ses adversaires politiques qui pourraient lui porter des coups déstabilisateurs sur le front du combat de la gestion quotidienne des affaires de l’Etat, marquée par de nombreuses insuffisances, notamment en ce qui concerne la lutte contre la covid.
L’Afrique du Sud se situe parmi les pays africains les plus touchés et qui accumule, si on ose dire, les effets négatifs de la mal gouvernance sanitaire aussi bien pour la covid que pour le sida, avec un million et demi de personnes contaminées à la covid et 3 millions vivant avec le VIH.
L’Etat a certes commandé plus de 60 millions de doses de vaccins, mais, il y a bien un problème de politique sanitaire globale qui se pose.
Il y a aussi la question de l’emploi des jeunes et plus généralement, de la perpétuation des inégalités scandaleuses, héritage de l’Apartheid, vaincu politiquement, qui perdure économiquement.
L’économie et les finances sont encore entre les mains des Blancs, les terres agricoles les plus rentables aussi ; la démocratisation de l’enseignement n’est pas réalisée, bref l’égalité sociale est plus virtuelle que réelle.
Depuis 1994 et l’avènement du pouvoir de l’ANC, les progrès ne sont pas à la mesure des attentes d’une jeunesse nombreuse et impatiente.
La corruption peut expliquer beaucoup de choses, mais pas tout.
Ensuite, il faut aussi cibler les corrupteurs qui ne sont pas seulement les membres de la famille Gupta.
La réforme agraire réalisée au Zimbabwé et qu’il faut saluer, n’est toujours pas imposée en Afrique du Sud.
Pourtant il s’agit d’une question éminente de souveraineté nationale, de démocratie et de justice sociale.
La lutte contre la corruption pourrait aussi être une diversion pour éviter les débats de fond.
Eradiquer la corruption, oui et toutes les formes de pratiques sournoises qui permettent de maintenir et de renforcer la mainmise blanche sur les richesses du peuple sud-africain.
La fin théorique de l’Apartheid doit se terminer pour permettre de porter des coups décisifs contre corrupteurs et corrompus.
Ramaphosa a du pain sur la planche… Il doit oser devenir téméraire, à ses risques et périls.