Les sénégalais sont friands de débats, sur tous les sujets, ou presque. En ces temps de pandémie, sevrés de combats de lutte qui font couler beaucoup de salive, avant que les coups de poing ne pleuvent dans l’arène, politologues auto-proclamés, juristes privés d’amphis mais très sollicités sur les plateaux télé, politiciens sans campagne électorale à se mettre sous la dent et journalistes sans inspiration, s’adonnent à un pugilat verbal sur l’hypothèse d’un troisième mandat.
D’aucuns, à court d’arguments juridiques-les seuls recevables dans ce débat qui sera tranché par le Conseil constitutionnel, se lancent à corps perdu dans les amalgames, l’inquisition morale, les sermons et les fatwas, et, finalement servent des repas théoriques indigestes aux lecteurs. Pourtant les choses sont simples :seuls les sages du Conseil constitutionnel sont habilités à décider, si oui ou non le président actuel peut briguer un « autre mandat ». Les déclarations passées de Macky Sall n’ont aucune valeur juridique sur cette question. Il n’est pas membre du Conseil constitutionnel. Il n’est pas juriste, non plus.
Pour les spécialistes du droit constitutionnel que sont les professeurs Babacar Gueye et Jacques Mariel Nzouankeu -dont l’expertise fait autorité au sein de la communauté universitaire- , il n’ y a pas de doute possible : « si nous appliquons la Constitution, à la lettre, on peut considérer qu’il ne fait pas partie du décompte-le mandat actuel-. Ce qui fait que le président Macky Sall, en 2024, peut envisager de briguer un troisième mandat comme l’avait fait le président Wade.
Le Pr Babacar Gueye était l’invité de l’émission « Grand Jury » de la chaine TFM du 8 octobre 2017. Il avait précisé, auparavant, que : « quand on a rédigé la Constitution de 2016, on a dû oublier certainement de prévoir des dispositions transitoires. « Il fallait ajouter des dispositions transitoires pour prévoir que le mandat en cours faisait partie du décompte des deux mandats que l’actuel président peut avoir ». Le Pr Jacques Mariel Nzouankeu a soutenu la même thèse le 12 octobre 2017.
Depuis beaucoup d’autres ont reconnu la pertinence des propos des deux « constitutionnalistes » qui, cependant ont, aussi été ciblés par de nombreux critiques. Ces derniers ont, pour la plupart, choisi de « politiser » le débat, comme on dit. C’est leur droit, même s’il est hors-jeu…sur le terrain juridique. Certains ont invoqué la morale, en oubliant ou ne sachant, peut-être pas, que le Droit n’est pas la morale. Le juge constitutionnel interprète le texte de la Constitution, pas un traité de morale comme celui de René Le Senne, par exemple. Il n’est pas dans un débat philosophique et/ou politique. Il applique la Constitution à la lettre.
Dans ce cas précis ! Et les choses sont claires :un mandat est inclus dans un décompte ou, il ne l’est pas. En 2012, la « bataille politico-juridique » a tourné à l’avantage de Abdoulaye Wade qui a eu gain de cause et a participé à l’élection présidentielle. Cela fait jurisprudence.
C’est dans les urnes qu’il a été battu, et au deuxième tour. Sans préparer, ici, une thèse de doctorat en droit, on peut retenir que la cacophonie qui règne sur cette question participe de cette volonté des politiciens et médias sénégalais d’installer et d’entretenir une campagne électorale permanente sur laquelle ils capitalisent de mille et une manières.
Pour l’heure, il n’y a pas lieu de remuer ciel et terre. Pour alimenter des discussions stériles qui polluent le travail gouvernemental. C’est, peut-être l’objectif visé par des opposants qui savent très bien que, le moment venu, le Conseil constitutionnel, seul, décidera de la validation des candidatures à l’élection présidentielle.