Introduit au Sénégal au 9ème ou le 10ème siècles, l’enseignement coranique s’est développé dans le pays à une époque, dominée par les royaumes « ceddo » (pouvoir traditionnel profane). C’est en 1603, que naquit à Pire, l’Université de Pire Saniakhor, se positionnant comme le pôle du savoir le plus prestigieux dans tout le continent africain, au même titre que les célèbres universités d’Al- Zaytouna de Tunis, d’Al-Qarawiyine (de Fez) ou d’Al-Azhar du Caire.
Du Fouta au Boundou, en passant par le Diolof, le Waalo, le Cayor, le Baol, le Sine et le Saloum, le Sénégal d’avant l’ère coloniale a été très tôt illuminé par des foyers d’enseignement religieux prestigieux.
Ces foyers ont d’ailleurs fourni au pays, ses plus grands résistants à la pénétration coloniale : Cheikhou Oumar Foutiyou Tall, Mouhammad Lamine Dramé, Fodé Kaba Doumbouya, Alpha Moolo, Mabadiakhou Ba, Diouma Kâ et tant d’autres figures emblématiques.
À l’arrivée du colonisateur français, les chefs religieux étaient parmi les plus réticents face à la mise en place de l’administration coloniale et farouchement opposés à son système d’enseignement, vu comme un moyen d’acculturation, d’aliénation et de domination politique.
Le programme socioculturel colonial était perçu dans les colonies comme la pire forme d’agression. Ainsi, l’enseignement du Coran servait de rempart contre l’envahisseur tout comme le système colonial occidental estimait à juste raison, que l’enseignement coranique rendait leur mission difficile voire impossible.
Le 22 juin 1857, le gouverneur Louis Faidherbe prit un arrêté limitant les heures d’enseignement du Coran et exigea des maîtres coraniques de ne plus enseigner pendant les heures de cours de l’école française et d’envoyer leurs apprenants d’un certain âge à ces écoles coloniales. Plusieurs autres arrêtés furent publiés visant à freiner l’expansion de l’enseignement coranique.
La médersa de Saint-Louis fut créée pour y former des cadis (juges musulmans) et des interprètes arabophones. L’importation du Coran et certains ouvrages islamiques, jugés hostiles à l’administration française, fût interdite.
À l’indépendance en 1960, le Sénégal a calqué ses institutions à celles de la France tant au niveau politique que socioculturel. Le système scolaire français fut reconduit dans le Sénégal indépendant. L’opposition entre le système scolaire dit “moderne” et celui dit “traditionnel” se poursuivit de plus belle. La non prise en compte de l’enseignement “traditionnel” par l’État du Sénégal se traduit par une marginalisation extrême de cette catégorie d’enseignement ainsi que ceux qui en sont issus.
En 2005, sous l’ère de l’ancien président Me Abdoulaye Wade, le programme PARRER (Partenariat pour le retrait et la réinsertion des enfants de la rue) fut mis sur pied. Il bénéficia d’un financement japonais via la Banque mondiale de près d’un milliard de francs CFA. Au bout de compte, rien de concret n’a été.
Auparavant, en juillet 1975, le Président Léopold Sedar Senghor avait promulgué la loi 75-77 du 09 juillet 1975 interdisant la mendicité sauf dans les lieux de culte. Loi, qui fut corsée par le régime Wade en 2005.
En dépit de cet arsenal juridique, aucun gouvernement au Sénégal n’a réussi à faire prendre en charge par l’État, l’enseignement coranique dont l’un des corollaires est la mendicité des enfants et leur maltraitance.
En 2013, le gouvernement du président Macky Sall lança le Programme d’Appui à la Modernisation des Daaras (PAMOD), dont la première phase est financée avec l’appui de la Banque islamique de Développement (BID) à hauteur de 20 millions de dollars, soit 10 milliards de francs CFA. Quelques Daaras “modernes” furent construites et des maîtres coraniques furent appuyés financièrement. Des séminaires de formation ont été organisés, mais la majorité des Daaras baignent encore dans une précarité extrême.
Pas moins 5 projets ont été initiés par le gouvernement sénégalais avec les partenaires extérieurs, mais ces efforts n’ont pas empêché la plaie de rester béante. Il faut dire que beaucoup de ces projets ont pêché par une mauvaise approche, renforcée par les profils inadaptés des managers.
La formation des maîtres coraniques et l’amélioration des conditions de vie et de travail au sein des Daaras est une priorité qui aurait dû être mise en avant depuis longtemps. Plus que des rafistolage, il s’agit de concevoir, d’élaborer et d’exécuter, de concert avec les acteurs, des programmes répondant aux préoccupations prioritaires des Daaras. Ce travail, devrait se faire avec, comme base, les quelques Daaras qui ont réussi à s’imposer comme des modèles de réussite.
Le classement plus qu’honorable des différents candidats du Sénégal aux concours de récital du Coran à travers le monde, prouve qu’il y a quand même quelques échantillons de réussite pédagogique.
À côté de ces rares exemples, il y a malheureusement des Daaras à l’image de celui de la bourgade de NDIÂGNE dans la commune de Koki “miftâhoul Mounâ” (Clé des vœux exaucés) où le maître Khadim Guèye enchaînait encore les apprenants récalcitrants. Cet événement inqualifiable l’a conduit à la prison de Rebeuss, lui et ses 5 complices. À y regarder de près, on pourrait bien se demander, si Khâdim Guèye est-il vraiment coupable ou victime?