Il y a des pays où la politique et la religion se regardent en chiens de faïence, d’autres où la religion tente d’imposer sa suprématie à la politique ou vice-versa. Au Sénégal, la relation entre politique et religion est non seulement équilibrée, mais cordiale.
Avant l’époque coloniale, notamment en 1776, la révolution tooroodo installa au Fouta Tooro l’Almamyat, un régime politique très démocratique, dirigé par l’illustre Thierno Souleymane Baal et Abdoul Khadry Kane. Il mettait fin au pouvoir autocratique et dictatorial des Denyankobé.
En 1790, il y eut la république léboue, dirigée par un savant musulman, venu de Coki, à qui on attribua le titre prestigieux de Serigne Ndakarou. À l’époque coloniale, les autorités françaises ont toujours eu besoin de la collaboration des chefs religieux pour gouverner ce minuscule territoire de l’Afrique de l’Ouest qui s’appelait : le Sénégal.
À l’aube de l’indépendance, le premier Président du Sénégal, le catholique Léopold Sedar Senghor aura été élu à cette haute fonction, grâce notamment à l’appui des khalifes généraux des Tidianes et des Mourides (Confréries musulmanes) Seydi Ababacar Sy et El Hadj Falilou Mbacké.
Le 2ème président Abdou Diouf, avait presque comme parrain Serigne Abdoul Ahad Mbacké (Khalife général des mouride) et dans un moindre degré, Serigne Abdoul Aziz Sy Dabbagh (Khalife général des Tidiane), tout comme Me Abdoulaye Wade fut un disciple reconnu du Khalife général des mouride, Serigne Saliou Mbacké.
À beau essayer d’échapper à la tutelle maraboutique, le Président Macky Sall reste très lié à l’actuel Khalife général des mouride, Serigne Mountakha Mbacké, de même qu’au Khalife des Tidiane Serigne Mbaye Sy Mansour.
Vendredi 27 septembre 2019, la communauté mouride et avec elle, tous les Sénégalais, ont convergé vers Dakar pour assister à l’inauguration de la Mosquée Massalikoul Djinane, l’une des plus grandes mosquées en Afrique de l’ouest.
L’événement était placé sous le haut patronage du Khalife général des mouride Serigne Mountakha Mbacké. Le président de la république Macky Sall, a dû quitter New York où il prenait part à l’assemblée générale des Nations-unies, pour venir assister aux côtés du Khalife des mouride, à cette importante communion des cœurs et des esprits.
Avant le retour du président de New York, tous les autres leaders politiques d’envergure avaient déjà rendu visite au saint homme, venu de Touba présider la cérémonie. Le jour J, L’ancien président Abdoulaye Wade a accompli la prière de vendredi à côté de l’actuel président Macky Sall, entourant le maître des lieux, Serigne Mountakha Mbacké.
La prière terminée, les deux hommes politiques finissent par se donner la main, sous l’œil vigilant du Khalife, marquant ainsi la réconciliation historique entre deux frères libéraux, longtemps séparés par les turbulences de la vie politique.
Le président Macky Sall qui n’avait plus échangé avec son prédécesseur depuis la passation de service en avril 2012, l’embarqua dans son véhicule présidentiel, sous les lumières éclatantes des caméras de télévision.
L’emprisonnement par la Cour d’enrichissement illicite ( CREI) de l’ancien ministre d’état Karim Meïssa Wade, unique fils de Me Abdoulaye Wade, venait aggraver le pourrissement des relations, déjà exécrables, entre Me Wade et son tombeur Macky Sall. Des présidents africains ont tenté plusieurs fois de les réconcilier, mais les plaies étaient trop profondes pour se cicatriser aussi facilement. Il aura fallu la méditation du Khalife général des mouride pour réussir ce coup de maître, le jour de l’inauguration du bijou architectural que représente la Mosquée Massalikoul Djinane !
Deux jours après cet acte politique spectaculaire, notamment le dimanche 29 septembre 2019, le Président Macky Sall usant de ses prérogatives que lui confère la constitution, signe le décret pour la remise de peine, en faveur de l’ancien maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall et ses deux codétenus. Avec la libération surprise, les Sénégalais venaient de se rendre compte que Serigne Mountakha Mbacké avait négocié pour un apaisement global du climat sociopolitique dans le pays.
L’enseignement principal qui se dégage de cette série d’événements politico-religieux, est que la symbiose parfaite entre politique et religion est une marque déposée sénégalaise, qui mérite d’être vulgarisée au plan universel, comme un exemple de coexistence pacifique et harmonieuse entre deux concepts (politique et religion) qui ont été souvent source de conflits et de haine en Europe et ailleurs dans le monde.
Christian Coulon, dans son célèbre ouvrage “Le marabout et le prince” avait laissé apparaître la complicité qui frise la complémentarité entre politique et religion au Sénégal.
Loin des fanatismes obscurantistes et des dogmatismes a-religieux, le Sénégal offre, aux yeux du monde, un exemple de cohabitation, quasi unique, entre politique et religion.