À sa mort, le président Béji Caïd Essebsi, salué comme un acteur crucial de la transition après la révolution tunisienne, laisse néanmoins inachevés plusieurs grands chantiers. Il s’agit notamment de l’égalité entre hommes et femmes en matière d’héritage et la consolidation des institutions démocratiques.
Des hommages quasi unanimes ont salué en lui un « homme d’État » qui avait un très grand sens de la nation. Fin politicien, il avait su réconcilier un pays polarisé entre islamistes et partis de gauche, et assurer la stabilité après une grave crise politique en 2013.
Dans le sillage de son modèle Habib Bourguiba, le père de l’indépendance tunisienne, Béji Caïd Essebsi avait voulu laisser sa marque dans l’histoire en tentant de faire voter une loi inédite dans le monde arabe, qui aurait rendu égaux les héritiers masculins et féminins. Un sujet délicat car il touche à l’identité religieuse du pays.
Après avoir annoncé la loi en 2018, il s’est retrouvé dépourvu de la légitimité nécessaire pour la faire voter. « Son parti s’est fragmenté à cause des manœuvres politiques de son fils : cela a fragilisé sa voix », estime Yosra Frawes, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), citée par l’AFP. À défaut d’avoir « un bloc parlementaire unifié et assidu », il n’a pas pu faire voter ce texte.
Le président laisse en effet derrière lui un paysage politique en plein désarroi, après des luttes des clans qui ont décimé le parti présidentiel, Nidaa Tounes, qu’il avait fondé en 2012. Cette formation se retrouve aujourd’hui reléguée à l’arrière-plan après avoir gagné les législatives et la présidentielle de 2014.
Une guerre de pouvoir fratricide entre le Premier ministre Youssef Chahed et le fils du président, Hafedh Caïd Essebsi, a eu raison du parti. Ce dernier a été fortement contesté au sein de Nidaa Tounes ces dernières années, mais il est resté à sa tête au prix de profondes scissions.
Cette implosion du pôle « moderniste » face aux islamistes d’Ennahdha, rend l’issue des prochaines élections incertaines, ouvrant la voie « à une multitude de partis qui vont avoir du mal à peser », estime le politologue Selim Kharrat.
Autre dossier laissé en plan : la Cour constitutionnelle. Tous les partis siégeant au Parlement ont retardé par calcul politique la mise en place de ce pilier crucial de la démocratie, en attente depuis 2014.
L’enjeu est d’autant plus important que la Constitution tunisienne, saluée en 2014 comme un habile compromis entre islamistes et progressistes, a maintenu sur nombre de sujets sociétaux des ambiguïtés qu’il appartiendra à la Cour constitutionnelle d’interpréter.
Mais les tenants du consensus forgé entre Nidaa Tounes et Ennahdha tenaient à préserver cette ambigüité pour maintenir cette alliance, qui a tenu jusque fin 2018. Une neuvième tentative d’élire quatre des membres de la Cour constitutionnelle a échoué au Parlement peu avant son décès, repoussant de facto toute décision jusqu’en 2020, fragilisant la transition démocratique dans une période délicate.