Vincent Bolloré a été déféré mercredi devant les juges d’instruction en vue de sa mise en examen.

Les juges français Serge Tournaire et Aude Buresi ont décidé de mettre en examen l’homme d’affaires Vincent Bolloré pour : « corruption d’agent étranger », « complicité d’abus de confiance », « faux et usage de faux ». Cela, suite à deux jours de garde à vue !

Le patron français est sorti libre de sa longue audition et n’est pas soumis à un contrôle judiciaire. Mais s’il est mis en « examen », la logique voudrait que des « indices graves et concordants » aient été décelés par les juges suite à l’enquête sur l’obtention par son groupe de concessions portuaires en Guinée-Conakry et au Togo.

L’« affaire guinéenne » date de 2011 et a connu bien des développements judiciaires avec la plainte du groupe français Necotrans contre le groupe Bolloré. Avec un rebondissement spectaculaire lorsque le groupe Bolloré a repris une partie des activités de Necotrans qui s’est retrouvé en redressement judiciaire. Jusqu’ici Vincent Bolloré n’avait jamais été ciblé, en personne par la justice française dans ces affaires là.

Pourquoi les choses ont-elles changé ?

L’évident est que les juges français s’engagent dans une bataille judiciaire qui sera longue et complexe. Car même « avec des indices graves et concordants », il sera difficile d’impliquer des autorités africaines à un certain niveau et encore moins à les obliger à témoigner et/ou simplement déférer à une convocation de la justice de l’Hexagone.

Le premier vice-président de la Guinée-Équatoriale a refusé purement et simplement de répondre à la convocation du tribunal de grande instance de Paris. Un des arguments solides avancé par Malabo a été l’immunité diplomatique du premier vice-président et aussi le fait que si un homme d’État français était convoqué par un tribunal équato-guinéen, il n’aurait pas déféré à celle-ci.

Ces mêmes arguments seront utilisés et on ne voit pas quels sont les moyens de contrainte dont disposeraient les juges français. Et si des mandats d’arrêt sont lancés contre des personnalités africaines, les relations bilatérales en subiraient des contre-coups.

D’une manière ou d’une autre nous sommes en face de plusieurs « affaires d’État » qui vont rendre très compliquée la marche de la machine judiciaire. Est-ce à dire que celle-ci devrait capituler dans la lutte contre la corruption ? Non !

Mais les seuls effets d’annonce ne suffisent ; il faut oser affronter la réalité telle qu’elle est. En plus des questions bilatérales déjà très complexes, il y a la compétition commerciale entre les entreprises françaises et celles des autres pays du monde en Afrique. Qui va imposer à la Chine de ne pas financer les pays peu regardant, par exemple sur le respect des droits de l’homme ?

La Chine apporte son argent et dicte ses conditions qui sont différentes de celles des occidentaux. Même si tous les investisseurs privilégient leur propres intérêts et sont tenus, normalement de respecter les règles de concurrence de l’OMC.

Dans ce contexte spécifique, avec la guerre commerciale qui s’annonce entre les USA et la Chine qui impacterait l’économie mondiale ; comment des juges d’un pays important mais pas autant que sont les géants américain et chinois vont pouvoir se faire entendre et obéir ? La justice française a-t-elle les moyens d’une lutte planétaire contre la corruption ?
Va-t-elle s’occuper seulement des entreprises françaises en Afrique, au risque de les fragiliser dans la compétition internationale ?

La mise en examen de Bolloré pourrait ouvrir la boite de Pandore et éloigner de plus en plus certains hommes d’État de Paris. Le groupe Bolloré pèse lourd en Afrique et dans de nombreux secteurs. La mise en examen de son patron ne signifie pas culpabilité car l’homme est toujours présumé innocent.

Il va d’ailleurs, avec la mise en examen, pouvoir prendre connaissance du dossier judiciaire. Pour préparer sa défense !

Du côté des juges, c’est un long chemin qui commence. Wait and see…