« On ne peut se passer d’une méthode pour se mettre en quête de la vérité des choses ». Cette assertion, qui doit habiter tout esprit épris de logique scientifique, arbore fatalement toute sa splendeur dans le débat juridico-politique – parfois cacophoniqueou chaotique – sur le « 3e mandat.
Mais l’expression la plus frappante de l’aporie ou des fausses évidences qui alimentent, au sein de la communauté juridique, les contradictions déchirantes, en lieu et place des controverses éclairantes, est l’entrée en scène de l’auteur de la « tribune »intitulée : « Le président Macky SALL face à son destin : entre tentation du fruit interdit du 3eme mandat et mesures correctives de garantie de l’unité nationale et de la paix civile ».
L’analyse du texte sous le prime méthodologique suscite des interrogations dignes d’être chevillées autour du caractère saisonnier de la contribution, assortie d’une conséquence inattendue, à savoir le syncrétisme scientifique à propos de l’interprétation des dispositions de l’article 27 de la Constitution(qu’elles soient complémentaires ou indivisibles, selon la culture acquise en Légistique).
I. Une interprétation évènementielle de la Constitution
On enseigne, en droit administratif, l’autre versant colossal et redoutable du droit public, la notion de « collaborateur occasionnel ». Cette envoûtante création jurisprudentielle convient parfaitement au contexte actuel marqué par la poussée d’une génération spontanée de constitutionnalistes qui affleurent à intervalles saisonniers minutieusement minutés sur l’actualité politique.
Le caractère événementiel de la contribution provient fondamentalement des rapports qu’entretiennent, certains d’entre les juristes avec la sphère constitutionnelle : des incursions sporadiques motivées par la conjoncture politique. L’histoire continue de bégayer.
On se le rappelle, le contexte de la candidature de Me Abdoulaye WADE aux élections de 2012 semblait décerné un « sauf-conduit » qui avait pour sens de garantir, aux juristes de tous bords, la sécurité et la liberté de mouvement, faisant fi des convenances scientifiques, à l’intérieur et à travers les frontières de la matière constitutionnelle. Cet état de fait, illustration d’une doctrine « flottante », est fort préjudiciable à l’intelligence de la science constitutionnelle dont les postes d’observation évoluent et se perfectionnent au gré de la « continuité constitutionnelle » et de la « discontinuité institutionnelle ».
La vérité, c’est que pourtant nos Facultés de droit, en général, et les Départements de droit public, en particulier, constituent des victimes expiatoires des errements des constitutionnalistes saisonniers. Autant dire que ces facultés, jadis haut lieu de la rigueur et de l’élégance d’esprit, sont, aujourd’hui, tout cruellement sacrifiées sur l’autel morbide des approximations juridiques. Les fondements de l’unité de la science juridique assise sur la complémentarité sont ainsi mis en péril par des contributions qui affectent le patrimoine de la théorie constitutionnelle capitalisé à l’Ecole de Dakar par des hommes de l’art.
Oui, faut-il le l’admettre, l’actualité constitutionnelle devient, au Sénégal, un terreau fertile pour ressasser des évidences juridiques (nous y reviendrons, prochainement). On n’est loin de rompre d’avec l’orientation scholastique de nos enseignements juridiques. Voilà la source qui, à la limite, abonde l’hérésie intellectuelle dont les maitres mots résonnent en termes de « brûler » ou de « fermer » les Facultés de droit.
Enfin, et comme on est obligé de toujours le rappeler, certains juristes se font le don d’ubiquité d’avoir l’art de toutes les sciences juridiques et autres. Au gré de l’évènementiel politique, la plume juridique peut se métamorphoser tantôt en spécialiste du droit de la famille et des personnes, tantôt en expert du droit pénal et de la procédure pénale, tantôt encore en consultantsspécialisés en droit administratif ou, de façon risqué, en théoriciens de la science politique. Plus épanouis, d’autres juristes se transforment aisément en détenteurs de la vérité morale ou simplement en fabricants de conscience sociale.
II. Une lecture syncrétique de la Constitution
La contribution en cause met en évidence un office doctrinal bien singulier enclin à en débattre sur l’article 27 de la Constitution ou en découdre aléatoirement avec des juristes rompus à la l’analyse constitutionnelle. Ce faisant, les codes, conventions, arrangements ou exigences méthodologiques sont mis à rude épreuve pour projeter une finalité moins juridique. Difficilement qualifiable, les voies d’analyse ainsi arpentées nous amènent à s’interroger sur l’état des rapports entre la contribution et les outils méthodologiques du droit constitutionnel, ces derniers étant rudement mis à l’épreuve. On peut comprendre alors que « ce n’est chose facile de bien suivre les vertus [des bons auteurs] », particulièrement sur le plan méthodologique.
On est incontestablement en présence d’un travail de fricotage,serait-on tenté de dire, pour renouveler notre allégeance à la méthodologie appropriée à la science constitutionnelle. Les termes de la contribution du Pr Kader BOYE corrompent manifestement les évidences méthodologiques. C’est une célébration de soi sous un prisme éclectique dont les occurrences sont : les états d’âme, l’argument moral et le jugement de valeur.
Au frontispice de la contribution en cause, s’affiche cette assertion : « Le vacarme assourdissant alimenté par divers groupes agissant en proximité ou à l’intérieur du pouvoir, et sans retenue, sur ou autour de la validité d’un 3ème mandat du Président Sall en 2024, a de quoi surprendre et inquiéter ».
Cette idée, un simple état d’âme personnel, peut-elle être le postulat d’un raisonnement juridique ? De quoi réellement « surprendre et inquiéter » pour l’avenir du droit ? Peut-on fonder des réflexions sur la matière constitutionnelle en s’encombrant d’une telle idée de départ ?
A l’analyse, c’est déjà, comme l’auteur le dit, une démarche de vérification de son démonstration selon laquelle « notre système éducatif est lui-même en crise à tous les niveaux d’enseignement ». Un vice social qui ne fait qu’aggraver la forte responsabilité dont nous ne saurions ne pas être solidairement comptables en notre qualité d’Enseignants-Chercheurs ou de managers des systèmes éducatifs.
D’autres expressions, empreintes de prétentions moralisantes ou de jugements de valeur, contestent à la contribution tout son potentiel d’éclat juridique. On serait au regret de relever des idées telles « les citoyens honnêtes » et « en français plus accessible aux profanes ».
En outre, la prudence qui sied habituellement au juriste fait défaut lorsqu’on rencontre dans la contribution des appréciationsdiplomatiquement indécentes tels que « Il faut faire attention. Le Sénégal n’est pas la Guinée » ou des conclusions péremptoires affirmant que « le juge d’instruction (…), pourrait délivrer les Sénégalais (…), en rendant une ordonnance qui, dans notre entendement de juriste, ne saurait être qu’un non-lieu ». Cela reste vrai Professeur, mais à la seule condition de prouver à l’opinion être dans le secret de l’instruction et, par conséquent, être en situation de recel de documents classifiés.
Ces fils rouges ponctuant la contribution copieusement servie à des profanes de la science constitutionnelle, accréditent, vraisemblablement, la thèse d’une camisole juridique portée de force sur une simple opinion personnelle. Finalement, une question simple de droit se trouve inutilement complexifié, en dehors de toute attente épistémologique.
Allusion faite à ces considérations, on se rend compte finalement que la question de l’interprétation de l’article 27 est loin d’être une simple affaire de tartempion. C’est évidemment une question de droit sur laquelle les constitutionnalistes débattent, et seront appelés à débattre, sans préjugés scientifiques. Mais encore faudrait-il le faire selon les canons éprouvés en science constitutionnelle. C’est le pari à tenir pour sortir du débat dilemmatique « recevabilité / irrecevabilité ». Des cercles concentriques se forment déjà autour de la question et s’élargiront nécessairement à d’autres espaces de vue. Quand lemoment idéal sonnera – car l’attitude prudentielle commande actuellement la retenue pour éviter d’offrir au pouvoir ou à l’opposition les moyens intellectuels d’un mortal kombatpolitique – il sera utile d’en faire un réel débat épanoui, avec la fusion des préférences politiques des citoyens, les éclairages-experts des constitutionnalistes et les réflexions fécondes des hommes d’idées et, en ultime ressort, l’office bienheureux des sept (07) Sages de la rue Le Bon Pape Jean.
En attendant, une modération du débat intellectuel ne ferait qu’apaiser l’atmosphère politique et décanter les esprits. En attendant que la science constitutionnelle cesse d’être le réceptacle de toute sorte de fables juridiques !
Par Meïssa DIAKHATE
Agrégé de Droit public
Diplômé en Management international