Le 28 décembre 2025, la République de Guinée tiendra simultanément des élections présidentielle et législatives, un événement crucial qui marquera la fin officielle de la transition ouverte par le coup d’État militaire de septembre 2021. À la tête du pays depuis lors, le général Mamadi Doumbouya semble déterminé à maintenir une position dominante, alimentant ainsi les débats autour de ses intentions réelles et des implications politiques de cette double élection.
Un calendrier électoral stratégique
La décision de tenir simultanément les élections présidentielle et législatives constitue une manœuvre politique évidente de Mamadi Doumbouya. Présentée comme une initiative visant à accélérer le retour à l’ordre constitutionnel, elle permet surtout au président de la transition de concentrer l’attention et les ressources politiques en une seule échéance. Ce choix stratégique vise notamment à favoriser une dynamique électorale favorable à Doumbouya lui-même, dont une probable candidature à la présidentielle se dessine de plus en plus clairement.
En effet, ces élections interviennent dans un contexte politique tendu, marqué par la suspension récente de nombreux partis d’opposition pour motifs administratifs discutables. Parmi ces partis, certains poids lourds de la scène politique guinéenne comme le RPG d’Alpha Condé et l’UFR de Sidya Touré, désormais hors-jeu, laissent la voie libre à une candidature de Doumbouya qui pourrait aisément dominer le scrutin en l’absence de concurrence sérieuse.
L’accord confidentiel avec Moussa Dadis Camara
Au cœur des interrogations politiques se trouve la grâce présidentielle accordée en mars 2025 par Doumbouya au capitaine Moussa Dadis Camara, ancien président de la transition de 2009, condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité suite au massacre du 28 septembre 2009. Libéré officiellement pour raisons médicales, Dadis Camara se serait vu octroyer, selon des sources informées, une allocation mensuelle substantielle en échange d’un soutien électoral en Guinée forestière, sa région d’origine.
Ce rapprochement inattendu suscite de nombreuses controverses. Dadis Camara demeure une figure populaire dans sa région malgré les graves accusations portées contre lui. Sa libération a provoqué des scènes de joie dans certaines localités, soulignant son potentiel à mobiliser un électorat régional crucial pour la présidentielle. Cette manœuvre est perçue par les observateurs politiques comme un calcul électoral pur et simple, visant à renforcer la position électorale de Doumbouya.
La Guinée forestière, un enjeu décisif
La Guinée forestière, historiquement « faiseur de rois », pourrait être décisive pour l’élection présidentielle. Dans un pays marqué par des divisions ethniques et régionales profondes, s’assurer le soutien de cette région est essentiel pour tout candidat aspirant à une victoire claire dès le premier tour. En cooptant Dadis Camara, Doumbouya mise clairement sur une stratégie d’alliance régionale pour sécuriser son élection.
Mais cette stratégie comporte des risques significatifs. L’implication d’un personnage aussi controversé que Dadis Camara, condamné pour des crimes d’une extrême gravité, pourrait susciter un rejet au-delà de la région forestière et aggraver les tensions politiques nationales. Ainsi, ce calcul électoral pourrait paradoxalement affaiblir la légitimité nationale et internationale de Doumbouya.
Une grâce présidentielle controversée : humanitaire, apaisement ou cynisme ?
La décision de gracier Dadis Camara a provoqué une vague d’indignation en Guinée comme à l’international. Présentée officiellement pour motifs humanitaires, cette mesure est largement interprétée comme un arrangement politique cynique. L’absence de dialogue national préalable ou de mesures d’accompagnement pour les victimes renforce le sentiment d’une injustice flagrante.
Les organisations de défense des droits humains, les victimes du massacre du 28 septembre et leurs familles dénoncent unanimement cette décision. L’Association des victimes a notamment exprimé son sentiment de trahison et d’abandon, alors même que les indemnisations promises tardent à se concrétiser.
Du côté international, les critiques sont tout aussi sévères. L’ONU a vivement dénoncé cette grâce, estimant qu’elle entrave gravement la lutte contre l’impunité et remet en question la crédibilité de la justice guinéenne. Amnesty International et d’autres ONG internationales ont également exprimé leurs inquiétudes quant au message envoyé en matière de respect des droits humains et de justice.
Regards historiques sur les transitions guinéennes
Pour mieux saisir la portée de ces élections, un bref rappel historique s’impose. En 2008, Moussa Dadis Camara lui-même, après un coup d’État similaire, avait promis une transition rapide et transparente avant de sombrer dans l’autoritarisme et le massacre du 28 septembre 2009. Cette expérience traumatique est toujours vivace dans la mémoire collective guinéenne.
En 2021, Mamadi Doumbouya avait également promis une rupture avec les pratiques du passé, mais sa gouvernance a rapidement montré des limites similaires : répression de l’opposition, suspension de partis politiques et tentations autoritaires. Ces parallèles historiques nourrissent aujourd’hui les craintes d’un retour aux errements passés et sapent la confiance dans les promesses de démocratie affichées par Doumbouya.
Réactions nationales et internationales
La société civile guinéenne affiche une profonde division face à ces manœuvres politiques. Une partie de la population, lassée par l’instabilité chronique, semble prête à accepter ces arrangements si cela garantit une certaine paix sociale. À l’inverse, d’autres dénoncent vivement ce qu’ils perçoivent comme une dérive autoritaire déguisée sous couvert de pragmatisme politique.
Au niveau international, outre l’ONU, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) surveille attentivement la Guinée et a déjà exprimé son inquiétude face à la tournure prise par cette transition. Des sanctions ou des mesures diplomatiques pourraient être envisagées si les élections ne répondent pas aux critères démocratiques attendus.
Une transition en trompe-l’œil ?
Les élections simultanées du 28 décembre 2025 constituent un véritable test pour l’avenir politique de la Guinée. Si Mamadi Doumbouya réussit son pari électoral, il aura certes consolidé son pouvoir, mais au prix d’une légitimité démocratique fortement entachée par les méthodes utilisées pour y parvenir. L’alliance avec Moussa Dadis Camara, la grâce présidentielle controversée et le verrouillage du jeu politique pourraient gravement compromettre les chances d’une stabilité durable et d’une réconciliation nationale authentique.
En fin de compte, les citoyens guinéens auront à choisir non seulement leur prochain président et leurs représentants législatifs, mais aussi la vision du pays qu’ils souhaitent : celle d’une démocratie imparfaite, mais effective, ou celle d’une autorité politique assumée, construite sur des arrangements controversés et la perpétuation des divisions historiques. La réponse des urnes le 28 décembre 2025 éclairera sans doute l’avenir politique immédiat, mais ne dissipera pas totalement les ombres qui planent sur cette transition délicate.