Un Acteur Inattendu Prend les Devants

Depuis quelques années, les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) — Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït, Oman et Bahreïn — ont intensifié leurs investissements en Afrique, devenant des acteurs majeurs sur le continent. Cette dynamique, surprenante pour certains observateurs, redéfinit les relations économiques africaines et concurrence les partenariats traditionnels avec des puissances telles que la Chine, l’Union européenne et les États-Unis.

Une Offensive Économique Inattendue

En 2023, les échanges commerciaux entre le CCG et l’Afrique ont atteint environ 121 milliards de dollars, soit une croissance de plus de 110 % depuis 2016. Cette progression témoigne de la volonté des pays du Golfe de diversifier leurs économies au-delà des hydrocarbures et de percevoir l’Afrique comme un moteur essentiel de la croissance mondiale dans les décennies à venir.

Secteurs Clés d’Investissement

1. Secteur Minier : Une Nouvelle Ruée vers les Ressources Africaines

Les pays du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ont récemment manifesté un intérêt accru pour le secteur minier africain. En 2024, les Émirats ont acquis une participation de 51 % dans une mine de cuivre en Zambie pour 1,1 milliard de dollars. De plus, l’Arabie saoudite, via son fonds Manara doté de 15 milliards de dollars, a acquis 10 % d’une filiale du géant minier brésilien Vale, renforçant ainsi sa présence dans le secteur des minerais stratégiques. Ces investissements visent à sécuriser l’approvisionnement en minerais critiques nécessaires à la transition énergétique, tout en offrant à l’Afrique des opportunités de développement industriel et technologique.

2. Agriculture : Sécuriser l’Avenir Alimentaire

Face aux défis climatiques et à la dépendance alimentaire, les pays du Golfe ont fait de l’Afrique une pierre angulaire de leur stratégie de sécurité alimentaire. Des investissements significatifs ont été réalisés dans des terres agricoles, notamment au Soudan, en Égypte et au Kenya. En 2023, l’Arabie saoudite a investi plus d’un milliard de dollars dans des projets agricoles en Égypte, visant à accroître la production de blé et d’autres cultures stratégiques. Ces initiatives répondent aux besoins alimentaires des pays du Golfe, tout en stimulant le secteur agricole africain, bien que des préoccupations subsistent quant à la souveraineté alimentaire locale.

3. Énergie : Une Transition en Douceur

Le secteur énergétique est un autre domaine où les pays du CCG exercent une influence croissante. Les Émirats, par le biais de leur société Masdar, ont investi dans des projets d’énergie renouvelable en Afrique subsaharienne, visant à ajouter 10 GW de capacité énergétique d’ici 2030. Parallèlement, le Qatar s’est positionné dans l’exploitation des hydrocarbures, notamment avec des projets en Namibie et en Égypte. Ces investissements s’inscrivent dans les ambitions des pays du Golfe de diversifier leur portefeuille énergétique tout en répondant à la demande croissante de ressources sur le continent.

4. Infrastructures : Connecter les Marchés

La modernisation des infrastructures de transport est essentielle pour intégrer l’Afrique dans les chaînes de valeur mondiales. Les Émirats, via DP World, opèrent dans plusieurs ports africains, comme celui de Luanda en Angola et de Djibouti. En investissant dans les hubs logistiques et portuaires, le Golfe améliore non seulement l’efficacité des échanges commerciaux, mais renforce également la position stratégique de l’Afrique dans le commerce mondial.

Atouts des Pays du Golfe face aux Grandes Puissances

Les pays du Golfe disposent de plusieurs avantages qui les positionnent favorablement dans la course aux investissements en Afrique :

Flexibilité Financière : Leurs fonds souverains, tels que le Public Investment Fund d’Arabie saoudite, disposent de liquidités substantielles, leur permettant de financer rapidement des projets d’envergure.

Approche Pragmatique : Contrairement à certaines puissances occidentales, les pays du Golfe privilégient des partenariats basés sur des intérêts économiques mutuels, sans imposer de conditions politiques, ce qui séduit de nombreux dirigeants africains.

Expertise en Développement Rapide : Leur expérience dans la construction d’infrastructures modernes en un temps record est un atout majeur pour répondre aux besoins urgents de développement en Afrique.

Neutralité Stratégique : Ne s’alignant pas systématiquement sur les grandes rivalités géopolitiques, les pays du Golfe sont perçus comme des partenaires neutres, offrant une alternative aux influences chinoises et occidentales.

Comparaison avec les Partenaires Traditionnels

Le rôle croissant du CCG en Afrique contraste avec celui des partenaires traditionnels. La Chine, par exemple, reste le principal investisseur étranger avec un commerce bilatéral de 285,6 milliards de dollars en 2023. Cependant, le modèle chinois, souvent critiqué pour son poids sur l’endettement des pays africains, laisse une ouverture aux pays du Golfe, qui adoptent des approches moins contraignantes. L’Union européenne, malgré ses 300 milliards d’euros d’engagement via le programme Global Gateway, lutte pour maintenir son influence face à cette concurrence accrue.

Impacts pour l’Afrique : Opportunités et Défis

Opportunités

L’afflux de capitaux en provenance du Golfe présente des avantages significatifs pour l’Afrique. Outre les gains en infrastructures, ces investissements stimulent la création d’emplois, renforcent les capacités locales et diversifient les économies africaines. De

plus, les initiatives dans les secteurs agricole et énergétique contribuent à renforcer la résilience économique et à garantir la sécurité alimentaire. Les projets miniers apportent des opportunités d’industrialisation et de transfert de technologies, tandis que les investissements dans les infrastructures ouvrent de nouveaux horizons pour l’intégration commerciale intra-africaine.

Défis

Cependant, les partenariats avec les pays du CCG ne sont pas exempts de risques. L’acquisition massive de terres agricoles soulève des préoccupations concernant le « land grabbing », souvent au détriment des communautés locales. En outre, la focalisation sur des secteurs spécifiques comme l’agriculture d’exportation ou l’immobilier pourrait limiter les impacts sur le développement durable.

Les prêts liés à ces projets, bien que flexibles, posent également des questions sur la soutenabilité de la dette, surtout si les projets ne génèrent pas les rendements escomptés. Enfin, l’absence de conditions politiques, souvent perçue comme un avantage, peut également entraîner un manque de transparence et de gouvernance dans la mise en œuvre de certains projets.

Pourquoi les Pays du Golfe Gagneront la Course des Investissements

En dépit des défis, plusieurs facteurs jouent en faveur des pays du Golfe pour dominer la course aux investissements en Afrique :

Une Vision à Long Terme : Contrairement à d’autres investisseurs, les pays du CCG intègrent l’Afrique dans leurs plans de diversification économique à long terme, comme en témoignent les initiatives alignées sur Vision 2030 (Arabie saoudite) et Vision 2050 (Émirats).

Capacité d’Adaptation : Les pays du Golfe adaptent leurs stratégies d’investissement aux besoins locaux, que ce soit en investissant dans des infrastructures logistiques, en soutenant la transition énergétique ou en renforçant la sécurité alimentaire.

Des Relations Culturelles et Historiques : Avec une population africaine significative effectuant des pèlerinages religieux dans les pays du Golfe et des liens linguistiques et culturels dans certaines régions, ces pays bénéficient d’un capital relationnel unique.

Fonds Souverains Puissants : Les fonds tels que Mubadala (Émirats) ou le Qatar Investment Authority permettent de financer rapidement des projets à grande échelle, un avantage que peu de concurrents peuvent égaler.

Neutralité Politique : En évitant de s’immiscer dans les affaires intérieures des pays africains, le CCG gagne la confiance des dirigeants locaux, contrairement à certaines puissances occidentales perçues comme interventionnistes.

Perspectives d’Avenir

Pour maximiser les bénéfices de cette dynamique, les gouvernements africains doivent structurer des partenariats solides avec les pays du Golfe. Cela inclut la mise en place de cadres juridiques robustes, la transparence dans les négociations et une gestion rigoureuse des retombées économiques.

De leur côté, les pays du CCG gagneraient à adopter des stratégies plus inclusives, en s’assurant que leurs investissements profitent également aux communautés locales. Une approche centrée sur le co-développement renforcerait leur légitimité sur le continent et garantirait la durabilité de leurs engagements.

Conclusion

Les pays du Golfe, autrefois acteurs marginaux sur la scène africaine, sont en passe de devenir des partenaires incontournables. Leurs investissements ciblés et leur capacité à répondre rapidement aux besoins du continent redéfinissent les équilibres économiques en Afrique. Bien que des défis persistent, leur approche innovante, alliée à des ressources financières considérables, les place en tête dans la course aux opportunités africaines.

En jouant leurs cartes avec prudence et en renforçant leurs engagements envers le développement durable, ces nations pourraient bien devenir les architectes d’une nouvelle ère de prospérité pour l’Afrique.