La République Démocratique du Congo (RDC) est un géant africain aux pieds d’argile. Doté d’un potentiel économique et géopolitique énorme, ce pays riche en ressources naturelles peine pourtant à imposer une diplomatie efficace et cohérente sur la scène internationale. Récemment, une affaire surprenante a illustré avec éclat les incohérences et les dysfonctionnements d’une gouvernance largement critiquée, à travers un contrat de lobbying signé avec la société américaine Earhart Turner LLC, puis rapidement suspendu.

Un contrat de lobbying polémique

Le 4 mars 2025, la RDC, représentée par Kolongele Eberande, conseiller spécial du chef de l’État en matière de sécurité, signe un contrat de lobbying avec Earhart Turner LLC, société basée à Washington D.C. Le but affiché de ce contrat, d’un montant exorbitant de 5 millions de dollars américains, était de représenter la RDC auprès des institutions gouvernementales américaines telles que le Congrès, l’exécutif et diverses agences fédérales, notamment sur des questions de sécurité nationale et de communication stratégique.

Ce contrat précise clairement qu’aucun résultat précis n’est garanti, malgré le montant considérable engagé immédiatement par la RDC. Un tel accord interroge immédiatement sur les capacités diplomatiques intrinsèques du pays : pourquoi un État souverain doté d’un ministère des Affaires étrangères structuré, d’ambassades et de représentants internationaux doit-il recourir à un cabinet externe, étranger de surcroît, pour défendre ses intérêts diplomatiques élémentaires ? Cette décision révèle une crise profonde de légitimité et d’efficacité de la diplomatie congolaise traditionnelle.

La diplomatie congolaise en question

Historiquement, la diplomatie congolaise s’est toujours révélée fragile, fragmentée et souvent inefficace. La signature d’un contrat externe pour un lobbying direct auprès d’administrations étrangères met en évidence l’incapacité chronique de l’appareil diplomatique congolais à défendre efficacement ses propres intérêts. Ce choix, au-delà de l’aspect symbolique, envoie un signal particulièrement inquiétant sur l’état des institutions diplomatiques nationales. Le recours systématique à des intermédiaires étrangers pour des missions aussi sensibles constitue en lui-même un aveu d’échec institutionnel majeur.

En effet, le ministère des Affaires étrangères, supposé gérer directement les relations bilatérales, aurait dû suffire à accomplir ces tâches sans avoir besoin de recourir à un coûteux lobbying externe. Cette démarche pose donc légitimement la question de la pertinence et de l’utilité des représentations diplomatiques congolaises à l’étranger si leurs missions fondamentales doivent être externalisées à de si hauts coûts.

Une dépense inconsidérée

Au-delà des aspects institutionnels, la question financière soulève également une vive critique. Le montant du contrat — cinq millions de dollars versés intégralement dès la signature — apparaît comme particulièrement excessif. Pour un pays où près de 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, cette somme est non seulement astronomique mais elle représente aussi une véritable provocation économique et sociale.

Que justifie une telle dépense ? Le contrat lui-même reste étonnamment vague sur les objectifs spécifiques poursuivis. La mention « sans garantie de succès » souligne le caractère hasardeux, voire irresponsable, de l’engagement financier. Il apparaît clairement qu’une telle somme aurait pu être bien mieux investie dans des projets sociaux ou des infrastructures essentielles, domaines où la RDC accuse de graves retards.

Une suspension précipitée révélatrice

À peine quelques semaines après la signature du contrat, la présidence congolaise annonçait sa suspension immédiate et sans délai, invoquant une volonté de « privilégier des échanges directs avec la nouvelle administration américaine », selon le communiqué signé par Tina Salama, porte-parole du chef de l’État. Cette volte-face soudaine reflète non seulement une absence flagrante de vision à long terme mais aussi un gaspillage évident d’argent public.

En choisissant d’annuler brusquement un accord à plusieurs millions de dollars sans envisager préalablement ses conséquences financières, diplomatiques et stratégiques, la RDC démontre un amateurisme préoccupant dans la gestion de ses affaires d’État. Cette décision précipitée souligne davantage l’incohérence dans la gouvernance, le manque de réflexion stratégique et la légèreté avec laquelle des fonds publics sont dépensés puis abandonnés.

Une mauvaise gouvernance manifeste

Cette affaire révèle ainsi trois facettes principales de la mauvaise gouvernance congolaise:

  1. Inefficacité institutionnelle :Le recours à un cabinet de lobbying externe pour effectuer des démarches diplomatiques basiques illustre la faiblesse structurelle des institutions diplomatiques nationales.
  2. Gestion financière irresponsable :Dépenser cinq millions de dollars sans garantie explicite de résultats relève d’une gestion économique profondément défaillante, en contradiction totale avec les besoins urgents du pays.
  3. Absence de vision stratégique :La suspension soudaine du contrat indique clairement une absence totale de planification et de stratégie diplomatique à long terme.

Ces dysfonctionnements ne sont pas nouveaux, mais l’affaire Earhart Turner LLC les a mis en lumière de manière particulièrement frappante et documentée. Le Congo mérite mieux : une diplomatie souveraine, efficiente, transparente et une gestion responsable des ressources publiques.

L’histoire du contrat avorté avec Earhart Turner LLC offre une image révélatrice des lacunes persistantes de la gouvernance en RDC. Elle soulève également une interrogation fondamentale : la République Démocratique du Congo saura-t-elle, un jour, dépasser ces pratiques improductives et coûteuses pour s’engager enfin sur une voie diplomatique autonome, cohérente et respectueuse de ses citoyens ? Pour l’instant, la réponse reste tristement négative.